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EN FAMILLE.

de l’heure qu’il pouvait être ; mais, au fond, cela importait peu, quand le soir viendrait, elle le verrait bien.

Depuis son départ de Paris, elle n’avait eu ni le loisir ni l’occasion de faire sa toilette, et cependant, le sable de la route, fouetté par le vent d’orage, l’avait couverte de la tête aux pieds, d’une épaisse couche de poussière, qui lui brûlait la peau. Puisqu’elle était seule, puisque l’eau coulait dans la rigole creusée autour de la hutte, c’était le moment de profiter de l’occasion qui lui avait manqué ; par cette pluie persistante, personne ne la dérangerait.

La poche de sa jupe contenait en plus de sa carte et de l’acte de mariage de sa mère, un petit paquet serré dans un chiffon, composé d’un morceau de savon, d’un peigne court, d’un dé et d’une pelote de fil avec deux aiguilles piquées dedans. Elle le développa et, après avoir ôté sa veste, ses souliers et ses bas, penchée au-dessus de la rigole qui coulait claire, elle se savonna le visage, les épaules et les pieds. Pour s’essuyer, elle n’avait que le chiffon qui enveloppait son paquet, et il n’était guère grand ni épais, mais encore valait-il mieux que rien.

Cette toilette la délassa presque autant que son bon sommeil, et alors elle se peigna lentement en nattant ses cheveux en deux grosses tresses blondes qu’elle laissa pendre sur ses épaules. N’était la faim qui recommençait à tirailler son estomac, et aussi quelques morsures de ses souliers qui, à certains endroits, lui avaient mis les pieds à vif, elle eût été tout à fait à l’aise : l’esprit calme, le corps dispos.

Contre la faim, elle ne pouvait rien, car, si cette cabane était un abri, elle n’offrirait jamais la moindre nourriture.