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EN FAMILLE.

table la forçait, pour ne pas étouffer, à rester les lèvres entr’ouvertes, ce qui rendait sa langue plus sèche encore et son palais plus dur.

À bout de forces, elle eut l’idée de se mettre dans la bouche des petits cailloux, les plus polis qu’elle put trouver sur la route, et ils rendirent un peu d’humidité à sa langue qui s’assouplit ; sa salive devint moins visqueuse.

Le courage lui revint, et aussi l’espérance ; la France, elle le savait par les pays qu’elle avait traversés depuis la frontière, n’est pas un désert sans eau ; en persévérant elle finirait bien par trouver quelque rivière, une mare, une fontaine. Et puis, bien que la chaleur fût toujours aussi suffocante et que le vent soufflât toujours comme s’il sortait d’une fournaise, le soleil depuis un certain temps déjà s’était voilé, et quand elle se retournait du côté de Paris, elle voyait monter au ciel un immense nuage noir qui emplissait tout l’horizon, aussi loin qu’elle pouvait le sonder. C’était un orage qui arrivait, et sans doute il apporterait avec lui la pluie qui ferait des flaques et des ruisseaux où elle pourrait boire tant qu’elle voudrait.

Une trombe passa, aplatissant les moissons, tordant les buissons, arrachant les cailloux de la route, entraînant avec elle des tourbillons de poussière, de feuilles vertes, de paille, de foin, puis, quand son fracas se calma, on entendit dans le sud des détonations lointaines, qui s’enchaînaient, vomies sans relâche d’un bout à l’autre de l’horizon noir.

Incapable de résister à cette formidable poussée, Perrine s’était couchée dans le fossé, à plat ventre, les mains sur ses yeux et sur sa bouche ; ces détonations la relevèrent. Si tout