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EN FAMILLE.

À un certain moment comme elle venait de le gronder pour la quatrième ou cinquième fois, une voix sortit de la voiture appelant :

« Perrine. »

Aussitôt sur pied, elle souleva un rideau et entra dans la voiture où une femme était couchée sur un matelas si mince qu’il semblait collé au plancher.

« As-tu besoin de moi, maman ?

— Que fait donc Palikare ?

— Il mange le foin de la voiture qui nous précède.

— Il faut l’en empêcher.

— Il a faim.

— La faim ne nous permet pas de prendre ce qui ne nous appartient pas ; que répondrais-tu au charretier de cette voiture s’il se fâchait ?

— Je vais le tenir de plus près.

— Est-ce que nous n’entrons pas bientôt dans Paris ?

— Il faut attendre pour l’octroi.

— Longtemps encore ?

— Tu souffres davantage ?

— Ne t’inquiète pas ; l’étouffement du renfermé ; ce n’est rien, » dit-elle d’une voix haletante, sifflée plutôt qu’articulée.

C’étaient là les paroles d’une mère qui veut rassurer sa fille ; en réalité elle se trouvait dans un état pitoyable, sans respiration, sans force, sans vie, et, bien que n’ayant pas dépassé vingt-six ou vingt-sept ans, au dernier degré de la cachexie ; avec cela des restes de beauté admirables, la tête d’un pur ovale, des yeux doux et profonds, ceux même de sa fille, mais avivés par le souffle de la maladie.