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nade, cela ne lui était pas en réalité une bien grande fatigue : son oncle se montrait satisfait qu’elle l’accompagnât, elle était elle-même contente du contentement de son oncle.

M. Haupois-Daguillon, en sa jeunesse beau garçon et homme à bonnes fortunes, avait, malgré l’âge et ses occupations commerciales, conservé l’amour et le culte plastique, qui avaient failli faire de lui un statuaire ; il y avait peu d’hommes plus sensibles à la beauté féminine que ce riche bourgeois. Sa nièce eût été laide ou mal bâtie, il ne l’eût point pour cela repoussée ; mais les sentiments de compassion qu’il eût éprouvés pour elle n’eussent en rien ressemblé à ceux de tendre sympathie qui tout de suite l’avaient touché lorsqu’après une séparation de deux ans il l’avait revue. Car, loin d’être laide ou mal bâtie, elle était au contraire fort belle et surtout admirablement modelée cette jeune nièce : son cou onduleux, sa poitrine pleine et ronde, ses épaules tombantes sans saillies osseuses, son torse entier étaient dignes de la sculpture, et comme sur ces épaules se dressait une tête gracieuse et fine d’une beauté délicate, que la douleur en ces derniers temps avait pétrie pour lui donner quelque chose de tendre et de poétique, qu’elle n’avait pas en sa première jeunesse, elle produisait une vive sensation sur ceux qui la voyaient, alors même qu’il ne la connaissaient pas. Et pour suivre des yeux cette jeune fille en deuil à la démarche modeste, il arrivait souvent qu’on se retournât ou qu’on s’arrêtât alors qu’elle accompagnait son oncle qui, lui, s’avançait en vainqueur superbe : il marchait la tête haute et ses favoris blancs tombaient sur une cravate longue et sur une chemise d’une blan-