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passa tout une flotte de grands navires arrivant de la mer avec le flot ; ceux-ci carguant leurs voiles et jetant l’ancre devant l’île du Petit-Gay ; ceux-là continuant leur route pour aller s’amarrer au quai de la Bourse.

À son oreille retentit la voix claire de Madeleine comme au moment où surprise par le sifflet d’un remorqueur ou du bateau de La Bouille, elle appelait son cousin pour qu’il vînt avec elle au bord de la rivière ; sans l’attendre, elle courait jusqu’à l’extrémité de la berge, et quand le remous des eaux soulevé par les roues du vapeur arrivait frangé d’écume, elle se sauvait devant cette vague en poussant des petits cris joyeux, ses cheveux dorés flottant au vent.

Le soir quelques amis sonnaient à la porte verte ; quand tous ceux qu’on attendait étaient venus, le père prenait son violon, la fille s’asseyait au piano et l’on faisait de la musique. Bien que Madeleine ne fût encore qu’une enfant, elle chantait, parfois seule, parfois tenant sa partie dans un ensemble où se trouvaient de véritables artistes auprès desquels elle savait se faire applaudir ; car elle était déjà très-bonne musicienne et sa voix était charmante. Vers dix heures, ces amis s’en allaient, on les reconduisait en suivant la rivière dont le courant miroitait sous les reflets de la lune ou du gaz, et on ne les quittait que quand ils s’embarquaient dans un de ces lourds bachots recouverts d’un carrosse à peu près comme les gondoles de Venise, mais qui, pour le reste, ne ressemblent pas plus aux barques légères de la lagune que le ciel bleu de la reine de l’Adriatique ne ressemble au ciel brumeux de la capitale de la Normandie.

Cette existence modeste et tranquille, dans laquelle