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une heure que son oncle devait accomplir son suicide.

La dépêche arriverait-elle à temps ?

Si elle arrivait avant que M. Haupois fût sorti, il était sauvé ; si elle arrivait après, il était perdu ; sa vie dépendait donc du hasard.

Comme la plupart de ceux qui n’ont point eu encore le cœur brisé par la perte d’une personne aimée, Léon repoussait l’idée de la mort pour les siens ; que ceux qui nous sont indifférents meurent, cela nous paraît tout naturel, non ceux que nous aimons.

Et il aimait son oncle, bien qu’en ces derniers temps, par suite de la rupture survenue entre les deux frères, il eût cessé de le voir. Pourquoi son oncle et son père s’étaient-ils fâchés ? Il le savait à peine. Ils avaient eu de sérieuses raisons sans doute, aussi bonnes probablement pour l’un que pour l’autre ; mais pour lui il n’avait jamais voulu prendre parti dans cette rupture, qui n’avait changé en rien les sentiments d’affectueuse tendresse et de respect qu’il avait, dès son enfance, conçus pour cet oncle si bon, si jeune de cœur, si prévenant, si indulgent pour les jeunes gens dont il savait se faire le camarade et l’ami avec tant de bonne grâce.

Et, entraîné par les souvenirs que la lecture de cette lettre venait de réveiller en lui, il revint à ce temps de sa jeunesse.

Il retourna à Rouen et se retrouva dans cette petite maison du quai des Curandiers où il avait eu tant de journées de gaieté et de liberté. Il la revit avec sa parure de plantes grimpantes dont le feuillage jauni par les premiers brouillards de septembre produisait de si curieux effets dans la Seine, quand le soleil couchant les frappait de ses rayons obliques. Devant ses yeux