Page:Malot - Cara, 1878.djvu/271

Cette page n’a pas encore été corrigée

cent témoins qui viendront déposer dans leur propre cause. Je ne veux ni te peiner ni te blesser, mais il faut bien cependant que je te dise ce que j’ai sur le cœur, et tu dois sentir que ce n’est pas ma faute si mes paroles ne sont pas l’éloge de celle que tu crois aimer. Quelle est cette femme que tu préfères à ton père, à ta mère, à la famille, à la fortune, à l’honneur, et auprès de qui tu veux vivre misérablement dans une condition honteuse, dans une situation fausse qui n’a pas d’issue possible ? Qu’a-t-elle pour elle qui excuse ta folie ?

— Je l’aime.

— A-t-elle un grand talent ? A-t-elle un grand nom ? A-t-elle seulement la jeunesse ou la passion, ce qui explique, ce qui excuse toutes les folies ? Tu sacrifies tout et tu te donnes à elle ; pour combien de temps ? Je veux dire combien de temps encore pourras-tu l’aimer : la vieillesse et une vieillesse rapide ne doit-elle pas vous séparer dans un avenir prochain ? Tu sais comme moi, tu sais mieux que moi, quel est son âge. Elle pourrait être ta mère ; ce n’est pas à toi qu’il faut le dire, toi qui l’as vue sous la cruelle lumière du matin, si terrible pour une femme de son âge.

Léon, blessé par ces paroles, ne pouvait guère s’en fâcher, il voulut essayer de sourire :

— Vous qui aimez tant les choses d’art, réfléchissez donc un peu, dit-il, à l’âge qu’avait Diane de Poitiers quand Jean Goujon la représenta nue.

— Quelle niaiserie !

— Cinquante ans, n’est-ce pas, et elle était adorée par son amant, qui en avait vingt-huit ou vingt-neuf ; Hortense n’a pas cinquante ans, elle n’en a pas quarante, pour moi elle n’en a pas trente.