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« Mes affaires préparées, je devais prendre mes conclusions à l’audience sans notes, sans pièces, même sans code et en parlant d’abondance. La tâche était d’autant plus difficile pour moi, que jusqu’alors j’avais eu l’habitude de me servir très-peu de ma mémoire, parlant le plus souvent avec mon dossier sous les yeux, et, dans les circonstances importantes, m’aidant de notes manuscrites qui me servaient de canevas. Malgré mon application et mes efforts, j’échouai misérablement. Que cette impuissance fût le résultat de ma maladie, ce qui est possible, car l’amaurose est souvent une conséquence de certaines lésions du cerveau ; qu’elle fût due au contraire à l’absence de cette faculté que les phrénologues appellent la concentrativité, cela importait peu, ce qui était capital, c’était cette impuissance même ; et par malheur elle est absolue.

« Convaincu par cette déplorable expérience que bientôt je ne pourrais plus remplir mes fonctions d’avocat général, je fis faire des démarches à Paris pour voir s’il me serait possible d’obtenir un siège de conseiller ; je n’avais guère l’espérance de réussir, mais enfin je devais ne rien négliger et tenter même l’absurde. Tu trouveras ci-jointe la réponse que j’ai reçue : c’est la copie de mes notes individuelles et confidentielles qu’un de mes amis, un de mes camarades a pu prendre à la chancellerie. Tu la liras, et non-seulement elle t’apprendra que je n’ai rien à espérer, rien à attendre, mais encore elle te montrera ce que je suis ; au moment d’exécuter la résolution que la fatalité m’impose, j’ai besoin de penser que lorsque tu parleras de moi avec ma fille, tu le feras en connaissance de cause.