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trois couverts, ceux du maître et de la maîtresse de maison en face l’un de l’autre, celui de Léon à un bout ; car bien qu’il ne partageât plus souvent les repas de ses parents, son couvert était mis chaque jour comme si on l’attendait sûrement, et c’était avec cette place vide devant les yeux que son père et sa mère avaient le chagrin de dîner presque chaque soir en tête-à-tête ; moins tristes encore cependant quand ils étaient seuls que lorsqu’ayant des invités, ils étaient obligés d’excuser leur fils empêché, « qui venait de les prévenir qu’à son grand regret, il lui était impossible de dîner avec eux ce soir-là. »

Madame Haupois-Daguillon laissa son mari dîner, mais pour elle il lui fut impossible d’avaler un morceau de viande. Ce ne fut qu’après le départ du valet de chambre qui les servait et les portes closes qu’elle prit dans sa poche le billet de Léon et le tendit à son mari :

— Voici un billet qu’on a présenté tantôt et que j’ai payé, dit-elle.

— Léon ! dix mille francs, s’écria-t-il, et tu as payé !

— Fallait-il laisser en souffrance la signature Haupois-Daguillon !

Dix mille francs n’étaient pas une somme pour eux ; mais combien de billets de dix mille francs avaient-ils été déjà signés par Léon ? Là était la question. Sans doute il y avait un moyen tout naturel de la résoudre : c’était d’interroger Léon. Mais, après ce qui s’était passé à propos de Madeleine, ils avaient peur l’un et l’autre de provoquer une explication qui pourrait aller trop loin : ce qu’ils voulaient, ce n’était pas pousser Léon à une rupture, loin de là ; c’était tout au contraire le ramener à la maison paternelle. Il fallait