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ner la sienne, la porta à son cœur comme si elle venait d’y ressentir une douleur ; en même temps, elle regarda Léon avec un sourire plein de tristesse :

— J’aurais tant voulu être Hortense pour vous ! dit-elle après un moment de silence, et n’être que Hortense ; mais, hélas ! il paraît que cela était impossible, même pour un homme délicat tel que vous, puisque c’est à Cara que vous venez de parler.

— Mais je vous jure…

Elle ne le laissa pas continuer.

— Je ne vous adresse pas de reproches, mon ami ; combien d’autres à votre place seraient venus à moi et m’auraient dit : « Vous me plaisez, Cara ; combien me demandez-vous par mois pour être ma maîtresse ? » Vous êtes trop galant homme pour tenir un pareil langage ; vous m’avez parlé d’un sentiment né dans votre cœur, et vous m’avez dit que vous m’aimiez. Je suis touchée de vos paroles ; mais, pour être franche, je dois dire que j’en suis peinée aussi. Il me semble que l’amour ne naît point ainsi et ne s’affirme pas si vite : le goût peut-être, le caprice peut-être aussi, mais non, à coup sûr, un sentiment sérieux.

De nouveau elle le regarda longuement avec cette expression de tristesse dont il avait déjà été frappé.

— Ne croyez pas au moins que je repousse cet amour, dit-elle, ou que je le dédaigne. J’en suis vivement touchée au contraire, j’en suis fière, car je ressens pour vous autant de sympathie que d’estime. Mais, depuis le peu de temps que je vous connais, ce sont ces sentiments seuls qui sont nés en moi. D’autres naîtront-ils plus tard ? Je ne sais : cela est possible puisque mon cœur est libre, et que de tous les hommes que je con-