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dans ses goûts, distinguée dans ses manières, c’était, à ses yeux, une vraie femme du monde avec laquelle on aurait la liberté de tout dire et de tout risquer, à la seule condition d’y mettre un certain tour. Avec cela mieux que jolie, et faite de la tête aux pieds pour provoquer le désir, mais en le contenant par un air de décence et un charme naturel qui étaient un aiguillon de plus et non des moins forts.

Chaque fois que Léon la quittait, elle lui disait à demain, et le lendemain il revenait ; le premier jour, il était arrivé à neuf heures, le second à huit heures et demie, le troisième à six heures, le quatrième à cinq heures, et, après deux heures de conversation qui avaient passé sans qu’il eût conscience du temps, il était resté à dîner avec elle, sans façon, en ami, pour continuer leur entretien, et ce jour-là il ne s’était retiré qu’à deux heures du matin. Et alors, marchant par les rues désertes et silencieuses, il s’était dit très-franchement qu’il éprouvait plus, beaucoup plus que du plaisir à la voir.

Depuis la disparition de Madeleine, il avait vécu fort mélancoliquement, ne s’intéressant à rien, et portant partout un ennui insupportable aussi bien à lui-même qu’aux autres.

Et voilà que pour la première fois depuis cette époque il retrouvait de l’entrain, de la bonne humeur ; voilà que pour la première fois le temps passait sans qu’il comptât les heures en bâillant.

Qui avait opéré ce miracle ?

Cara.

Pourquoi ne pousserait-il pas les choses plus loin ? Elles avaient été pour lui si vides ces journées, si