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pouvez vous imaginer les hauts cris que celle-ci poussa. Cependant, comme ce n’était point une méchante femme, elle ne la renvoya pas, et deux jours après elle l’installa à un des coins de l’esplanade des Invalides devant une petite table chargée de fruits verts ou à moitié pourris. Vous représentez-vous une jeune fille de treize ans, jolie, très-jolie, disait-on, élevée dans un couvent, instruite jusqu’à un certain point, vendant des pommes à un sou le tas aux invalides et aux gamins de ce quartier.

Quelle chute ! Quelle souffrance !

Pendant près de trois ans elle vécut de cette misérable existence, dehors par tous les temps, le froid, le chaud, le vent, la pluie ; et cependant ce qu’elle endura physiquement ne fut rien auprès du supplice moral qui lui fut infligé.

Pourquoi ne faisait-elle pas autre chose, me direz-vous ? Et que vouliez-vous qu’elle fît, elle n’avait pas de métier, et elle était trop misérable pour se payer un apprentissage, même qui ne lui eût rien coûté. De quoi eût-elle vécu pendant le temps de cet apprentissage ?

Il y a une saison où les pommes manquent ; alors elle vendait des fleurs et elle quittait les Invalides pour des quartiers où l’on a de l’argent à dépenser aux superfluités du luxe. Un jour qu’elle se tenait au coin du pont de l’Alma et du Cours-la-Reine, avec un éventaire chargé de violettes pendu à son cou, un phaéton s’arrêta devant elle, et un jeune homme lui demanda un bouquet de deux sous. Elle le présenta, le jeune homme la regarda longuement et, lui ayant donné les deux sous, il continua son chemin : elle le suivit des yeux