Page:Malot - Cara, 1878.djvu/174

Cette page n’a pas encore été corrigée

lité il y avait un défaut ; il buvait, et l’argent qu’il gagnait s’en allait, pour une bonne part, sur les comptoirs en zinc des marchands de vin. Il ne lâchait son argent à la maison que quand on le lui arrachait ; et pour obtenir cela les enfants jouaient, de bonne foi et avec une terrible conviction, je vous assure, ce qu’on peut appeler « le drame de la faim » ; quand il rentrait les jours de paye, ils l’entouraient et se mettaient à pleurer en criant : « J’ai faim ». Et ils criaient cela d’autant mieux que c’était vrai.

Cependant Hortense grandit et devint jolie, car ce n’est pas le bien-être qui donne la beauté, ni la santé, heureusement. Elle poussa et se développa en liberté à courir les champs et les bois, se nourrissant surtout de bon air, ce qui, paraît-il, est plus nutritif qu’on ne le croit généralement.

Comme elle atteignait ses neuf ans, sans qu’il fût question de l’envoyer à l’école comme vous le pensez bien, une vieille dame riche, à qui elle portait des fraises des bois dans l’été, et dans l’hiver des branches de houx ou de fragons garnies de leurs fruits rouges, se prit de pitié pour sa gentillesse, et l’envoya dans un couvent à Pontoise, promettant de se charger de son instruction et plus tard de son avenir.

Ce fut le beau temps, le bon temps d’Hortense, qui ne se plaignit pas, comme beaucoup de ses camarades, de la mauvaise nourriture du couvent. Elle ne se plaignit pas davantage du travail, et bien vite elle devint la meilleure élève de sa classe.

Mais cette vie heureuse ne pouvait pas durer, la vieille dame riche mourut sans avoir pensé à Hortense dans son testament, et, comme ses héritiers n’étaient