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— L’existence d’un comédien et surtout celle d’une comédienne est, mon enfant, la plus difficile et la plus misérable des existences. Ne croyez pas que j’exagère. Regardez autour de vous. Voyez dans quelles conditions on débute ordinairement, je ne dis pas sur les petits théâtres, qui ne doivent pas nous occuper, mais sur une scène honorable. Il faut dix ans et beaucoup de talent pour arriver à une situation qui soit moins précaire que celle des premières années, et vous Voyez combien peu y arrivent, combien au contraire, même avec beaucoup de talent, restent dans des positions effacées. C’est là une cruelle blessure, qui n’est rien cependant auprès de celles que vous font chaque jour les rivalités : la jalousie, l’envie, la calomnie vous attaquent de tous les côtés ; il faut se défendre, et dans cette lutte les hommes laissent une bonne partie de leur amour-propre et de leur dignité, les femmes se perdent infailliblement. Je vous parlais de vos qualités tout à l’heure ; elles seraient justement des défauts, de grands défauts pour cette existence : l’honnêteté, la distinction, la bonne éducation, que voulez-vous qu’on en fasse, et si vous croyez pouvoir les conserver, vous vous trompez ; ce n’est pas en testant ce que vous êtes aujourd’hui que vous surmonterez jamais les obstacles que je vous signale, jamais, vous entendez, jamais. Maintenant avez-vous pensé au public, à sa frivolité, à ses caprices ; avez-vous pensé à la critique, à son incapacité, à son ignorance, à ses exigences ? J’ai quitté le théâtre dix ans plus tôt que je ne devais par peur de l’un et par dégoût de l’autre. Laissez-moi vous ouvrir les yeux, ma chère enfant, et donnez-moi la satisfaction de vous sauver d’une vie qui ne doit pas être la vôtre.