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Son angoisse fut telle qu’elle en vint à se demander si son dessein était réalisable et s’il n’était pas plus sage de l’abandonner ; mais elle se raidit contre cette faiblesse en se disant que ce qu’elle appelait sagesse, était en réalité lâcheté.

Oui, tout ce qu’elle venait d’entrevoir et de craindre était possible, mais quand même son oncle et sa tante la condamneraient, quand même Léon la chasserait de son souvenir, elle devait persévérer. Est-ce que son départ qui allait la séparer de sa famille, n’allait pas justement ramener dans cette famille celui qui à cause d’elle en avait été éloigné, un fils bien-aimé ?

En agissant comme elle l’avait résolu, ce n’était pas seulement à son père qu’elle donnait sa vie, c’était encore à Léon.

Il n’y avait donc plus à hésiter, elle quitterait cette maison, et seule, sans appui, laissant derrière un souvenir condamné, elle s’embarquerait à dix-neuf ans, sur la mer du monde, sans espoir de retour, mais au moins avec cette force que donne le sacrifice à ceux qu’on aime et le devoir accompli.

Cependant, son parti fermement arrêté, elle en différa, elle en retarda l’exécution ; c’était chose si grave, si cruelle, de dire adieu volontairement aux joies tranquilles du foyer, à la tendresse de la famille, à l’amour.

Mais madame Haupois-Daguillon, en lui parlant de Saffroy, vint l’arracher à ses hésitations.

— Tu as réfléchi à ce que je t’ai dit ? lui demanda-t-elle un soir

— Oui, ma tante.

— Bien réfléchi, n’est-ce pas, en jeune fille raisonnable ? — Oui, ma tante,