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légère infiltration de sang noir. Presque laide, très brune de teint, les lèvres rouges, les dents blanches et pointues, les cils longs, les regards brûlants, les cheveux noirs magnifiques, une taille de nymphe, des mains et des pieds d’enfant. Un fort parfum d’eau de rose la précède et l’annonce. Elle lance des mots d’esprit comme des éclairs. Elle danse avec une grâce extraordinaire. « Il n’y a qu’elle qui sache me comprendre », sussurre Trénitz. Elle triomphe dans la danse du châle ; elle triomphe à l’hôtel de Longueville où l’on monte sur les banquettes pour la voir danser, où trente cercles de contredanse à seize roulent sous l’archet de Hullin, où trois cents femmes parfumées, vêtues de gaze et « déshabillées en Vénus » virent et voltent aux bras de vigoureux danseurs. La folie de la danse fait tourbillonner Paris ; on y compte six cent soixante-quatre bals, et l’on danse à l’Opéra les Maximes de La Rochefoucauld[1].

Sophie Liottier prend largement sa part de ces plaisirs. Elle connaît les bals de l’hôtel de Thélusson et de l’hôtel de Longueville, elle connaît le bal des Victimes, elle connaît l’admiration des spectateurs qui montent sur les banquettes pour mieux admirer la grâce de ses gestes et la souplesse de ses pas.

La simplicité du début ne dure pas. L’agio, un agio formidable, se donne furieusement carrière, depuis les magnats de la haute finance, les Perre-

  1. Arsène Houssaye : les Femmes du temps passé, Paris, 1863, in-4o, p. 428. — Edm. et J. de Goncourt : Histoire de la société française sous le Directoire, Paris, 1864, in-12, passim.