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tacle finit à onze heures ; elle n’attend pas le baisser du rideau pour rentrer chez elle, car elle reçoit tous les soirs. Les amis d’élite viennent causer des événements de la journée, usage de ce temps qui favorise les conversations intimes, les rapports d’esprit et d’amitié. On continue l’entretien de la veille, on échange des éloges et des épigrammes qui ne blessent pas, et l’on ne parle pas politique[1]. On discute littérature et beaux-arts ; si l’on chante des romances élégiaques, où les chevaliers gémissent sur leurs coursiers, où les troubadours plaintifs jurent d’aimer toujours, on se rattrape en riant à cœur-joie des saillies spirituelles qui fusent à tous propos.

Ces habitués, ce sont le comte de Pontécoulant, qui ne passe pas deux jours sans venir ; Népomucène Lemercier ; Étienne dit de Jouy, militaire sous la Révolution, aujourd’hui publiciste, bientôt académicien : Charles de Longchamps, chambellan de Caroline Murat, surintendant de ses théâtres, auteur d’ouvrages spirituels aujourd’hui bien éventés ; d’Aure ; Coupigny, le roi de la romance, à d’autres heures honnête employé au Ministère de la Marine, puis à celui des Cultes ; Musson le mystificateur et Lenoir son compère ; Alexandre Duval ; Dupaty ; Garat la mousique, comme disait Piccini, avec ses gilets prodigieux, son zézaiement d’incroyable, ses cravates Directoire ; le jeune J. de Norvins, à la fois amusant conteur et remarquable causeur, fils d’un ancien receveur général des finances, ancien émigré rentré en France pour

  1. Sophie Gay : Un Mariage sous l’Empire, II, 160.