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LES PREMIERS FRANÇAIS DANS L’INDE

obtint un tirman qui permettait à la Compagnie française d’entreprendre des aflaires commerciales dans les domaines du Roi, sans payer de droits, soit d’importation, soit d’exportation ; à la même époque il reçut l’autorisation d’établir la factorerie de Masulipatara, et s’y rendit aussitôt[1].

Chose singulière ! un déplorable sentiment, la jalousie, entacha dès cette époque tous les efforts des Français pour s’établir dans l’Inde, et contribua grandement à leur insuccès. Il y eut dans cette entreprise peu de chefs qui sussent voir sans envie un de leurs collègues réussir dans quelque expédition ; presque toujours la jalousie l’emporta dans leur cœur, sur l’amour du pays et du bien public. À mesure que nous avancerons dans cette histoire, nous pourrons apprécier l’importance des avantages qui furent sacrifiés a ces misérables considérations personnelles au détriment des intérêts de la patrie.

Les Français n’étaient pas à Surate depuis deux ans, que déjà ces tristes dissentiments s’étaient manifestés. Caron, qui par lui-même avait accompli de si grandes choses, ne supportait pas l’idée qu’un de ses collègues pût s’attribuer exclusivement l’honneur de certaines opérations. Le succès de Marcara, loin de donner à Caron la joie qu’aurait dû en ressentir un Français dévoué à son pays, ne lui inspira que l’envie. Il dépouilla de leurs emplois les amis du Persan et dans les rapports qu’il fit au ministre il osa présenter sa conduite sous le jour le plus défavorable. Marcara, avisé des imputations dont il était l’objet, transmit à Colbert un exposé détaillé de sa conduite. Ce compte-rendu était si précis et si bien appuyé sur les faits, qu’après une enquête sérieuse, Marcara fut déclaré complètement justifié. Néanmoins, la mésintelligence entre les deux principaux officiers dans l’Inde ne pouvait avoir que de déplorables conséquences pour les établissements naissants[2].

Caron nourrissait des projets plus grandioses ; il exposa au ministre que pour s’établir solidement dans le pays, il était néces-

  1. Mémoires du sieur Marcara ; histoire des Indes Orientales.
  2. Après la querelle avec Caron, Marcara ne pouvant plus s’entendre avec lui, s’embarqua avec ses adhérents à bord d’un navire français et fit voile pour Java. Arrivés à Bantam. ils y établirent des factoreries dont les Hollandais les dépossédèrent environ dix ans plus tard.