Pourquoi, hélas, avait-il obéi ! Assurément on ne peut lui en faire un crime, mais il est évident qu’une véritable fatalité pesait alors sur la France. Quelques brises favorables, un navire meilleur voilier, un capitaine plus énergique et le sort de l’Inde eut été tout différent ! À peine avait-il cherché à calmer la vivacité de son désappointement en se consacrant plus activement que jamais aux soins que réclamait la colonie, qu’il vit arriver à Port-Louis, un navire français porteur d’une dépêche du contrôleur général des finances et ministre d’État, M. Philibert Orry, autorisant La Bourdonnais à garder la flotte et exprimant l’espoir qu’il aurait désobéi aux précédentes instructions. Le cardinal Fleury était mourant, Orry remplissait les fonctions de ministre ; il avait parfaitement compris l’importance des projets de La Bourdonnais, et s’était empressé de lui expédier ce navire et ces nouvelles instructions. Trop tard, hélas ! les vaisseaux étaient partis, et il n’y avait aucun moyen de les rappeler ; le souverain avait été trop scrupuleusement obéi, et cette obéissance lui fit perdre un empire.
On conçoit aisément toute l’aggravation que dut apporter ce message aux douleurs de La Bourdonnais. Bien d’autres, à sa place, auraient été réduits au désespoir, mais c’était un homme d’une trempe supérieure. Si, comme nous aurons à le faire connaître, il eut aussi son côté faible et ne fut pas toujours à l’épreuve des coups de la fortune, du moins, dans cette circonstance, il ne se laissa pas briser par le désappointement. Il ne tarda pas à savoir que le ministre et les Directeurs refusaient d’accepter sa démission, et, reprenant avec calme ses fonctions de Gouverneur, il se mit en devoir de faire face, dans la mesure du possible, aux éventualités qu’il prévoyait.
Les ministres avaient bien refusé la démission de La Bourdonnais, mais ils n’avaient pas aussitôt renvoyé les navires. Ils lui écrivirent qu’il possédait toute leur confiance et que le gouvernement général de l’Inde lui serait confié si quelque événement privait la France des services de Dupleix. Le cardinal était mort le 20 janvier 1743, la guerre était déclarée, et La Bourdonnais voyait avec peine les grands rivaux de sa patrie recueillir les avantages qu’il avait préparés. Cette flotte anglaise du commodore Barnet, dont nous