PAGES OUBLIÉES
POÈMES EN PROSE
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III
L’ORGUE DE BARBARIE
Depuis que Maria m’a quitté pour aller dans une autre étoile, — oh ! laquelle,
Orion, Altaïr, et toi, verte Vénus ? — j’ai toujours chéri la solitude.
Que de longues journées j’ai passées seul avec mon chat. Par seul, j’entends
sans un être matériel, et mon chat est un compagnon mystique, un esprit. Je
puis donc dire que j’ai passé de longues journées seul avec mon chat, et seul
avec un des derniers auteurs de la décadence latine ; car depuis que la blanche
créature n’est plus, étrangement et singulièrement j’ai aimé tout ce qui se
résumait en ce mot : chute. Ainsi, dans l’année, ma saison favorite, ce sont
les derniers jours allanguis de l’été, qui précèdent immédiatement l’automne,
et, dans la journée, l’heure où je me promène est celle où le soleil se repose
avant de s’évanouir, où les rayons de cuivre jaune sur les murs gris et
de cuivre rouge sur les carreaux. De même la littérature à laquelle mon esprit
demande une volupté triste est la poésie agonisante des derniers moments
de Rome, tant, cependant, qu’elle ne respire aucunement l’approche
rajeunissante des Barbares et ne bégaie point le latin enfantin des premières
proses chrétiennes.
Je lisais donc un de ces chers poèmes, dont les plaques de fard ont plus
de charme sur moi que l’incarnat de la jeunesse, et plongeais une main
dans la fourrure du pur animal, quand un orgue de Barbarie chanta languissamment
et mélancoliquement sous ma fenêtre.
Il jouait dans la grande allée des peupliers dont les feuilles me paraissent
jaunes, même au printemps, depuis que Maria a passé là avec des cierges
une dernière fois.
L’instrument des tristes, par excellence ! Le piano scintille, le violon ou-