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lamentable héritier royal, se montre d’accord avec l’esprit de conservatoires modernes : elle a surtout du naturel, comme l’entendent les ingénues, préférant que s’abandonner à des ballades une prétention d’introduire là, avec ses dons, tout le quotidien acquis d’une des savantes d’entre nos comédiennes ; aussi éclate souvent chez elle, non sans grâce, telle intonation parfaite autre part, dans les pièces du jour, là où l’on vit de la vie. Alors je surprends en ma mémoire, autres que les lettres qui groupent ce mot Shakespeare, voleter de récents noms qu’il est sacrilège même de taire, car on les devine.

Quel est le pouvoir du Songe !

Le je ne sais quel effacement subtil et fané et d’imagerie de jadis, qui manque un peu à des maîtres-artistes aimant à représenter un fait net, clair, battant neuf, comme il en arrive ! lui Hamlet, étranger à tous lieux où il survient, le leur impose à ces vivants trop en relief, par l’inquiétant ou funèbre envahissement de sa présence : l’acteur, sur qui se taille un peu exclusivement à souhait la version française, remet tout en place seul par l’exorcisme d’un geste annulant l’influence pernicieuse de la Maison ; en même temps qu’il ramène l’atmosphère du génie shakespearien, avec un tact dominateur et du fait de s’être miré naïvement dans le séculaire texte. Son charme tout d’élégance désolée accorde comme une cadence à chaque douleureux sursaut : avec la nostalgie d’une intime sagesse inoubliée malgré les aberrations que cause l’orage battant la plume délicieuse de sa toque, voilà le caractère peut-être et l’invention du jeu de M. Mounet-Sully qui tire d’un instinct parfois indéchiffrable à lui-même des éclairs de scoliaste. Ainsi pour la première fois, m’apparait rendue au théâtre, la dualité morbide qui fait le cas d’Hamlet, oui, fou en dehors et sous la flagellation contradictoire