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une immédiate influence dont l’époque, sans comprendre, s’inspire. Voilà que l’auteur du Ventre de Paris, comme pour préparer la masse à quelque avènement théâtral, laisse un dramaturge M. Busnach trouver une pièce dans ce chant, après les autres, de son épopée : et l’homme d’un métier notoire du reste choisi devient au voisinage tout à coup un peu un novateur. La troupe de comédiens se recrute parmi les prêtres survivants de vieux drame : je ne sais quelle naturelle ampleur, une majestueuse simplicité leur échoit : du fait du texte seul ? non (ce serait pas impossible au mauvais vouloir de le réciter sur le mode suranné), mais à cause simplement de la présence d’un regard dissimulé en une ombre d’avant-scène qui se fixe d’une certaine manière, voit ainsi et dégage une ambiance, à laquelle il faut que l’acteur se conforme.

Si bien qu’avec tous les éléments de redite quelque chose d’imprévu se produit, bonhomme et très grand dans la nature, qui sera l’aboutissement par excellence de la pièce populaire comprise ainsi qu’au long de ce siècle, ou montrant à l’assistance une image simplifiée d’elle dans les eaux vives de son sentiment naïf, en un temps où le peuple excédé de labeur se recueille et va moins au théâtre. La curiosité qu’il en éprouvera ici, de se connaître lui dans son décor, certes assure une suite enthousiaste de soirs ; mais je rêverais que sans apporter d’ingérence dans un succès issu de choses d’art, l’assemblée municipale qui, en vue d’un futur qu’elle ignore et prépare cependant, tient un théâtre mystérieusement, applaudît à ce décalque d’un chef-d’œuvre. J’y sens un rafraîchissement supérieur pour l’esprit ouvrier angoisseux ou surchauffé : et si l’on convient d’ouvrir d’officiels lieux de fiction, avant les portes de paradis, et qu’il soit bon tout de suite d’inventer quelque chose, c’est cela.