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et du Nord, celui-là dans le dialecte contemporain du Sud et de l’Ouest, retiennent autant que faire se peut l’antique tradition du style : chez le peuple à tout jamais oubliée. Plus rien après; envahie, la langue ordinaire se débattra et, si elle accepte beaucoup, ne perd pas autant : quant au langage cultivé il ne produira plus ni fleurs, ni fruits, jusqu’à Chaucer. Plus de livres, plus d’ccoliers; dans les classes on ne saurait presque point composer en une langue, trop vague et trop mobile encore à vrai dire pour que la fixe l’écriture. Éducation et affaires, tout, jusqu’aux rapports sociaux, se plie à l’habitude, intronisée par l’administration, de parler français : car on atteint cet excès. « Le Roi le veult, ou la Reine le veult », une telle formule, grassayéc à la Normande, traduit maintenant encore l’assentiment royal aux bills décrétés par le Parlement. Par ace, deuce, trey, quart, cink, siz, etc., comptait le jeu aux dice comme aux CARDs; c’est-à-dire aux dés comme aux cartes; car à tout le groupe des termes dont il est question plus haut, tels qu’AR-REARAGE, DEVISE, DOMAIN, HOMAGE, MANOR, RENT, SERJEANT, traitor et vouchsafe, ajoutez tout ce qui exprime le jeu effréné comme chance et hasard : ou les vices d’un vainqueur brutal, représentés par raven, pillage, ribald, villan et revelry, par exemple : enfin tous les mots violents ou malins rencontrés jusqu’à Shakespeare, charity, faith, grâce, mercy et peace n’y figurant qu’une rare éclaircie. Les passions ont trouvé leur langage, au xme siècle, et la Poésie peut enfin renaître. Ni français, car quel Français parlait-on, à voir ce premier vers d’une chanson « Dieu vous saue, dam Emmc! *»; et point tracés non plus dans la langue trop inhabile du pays, tous les écrits, lettres publiques et privées, en étaient venus à se faire en Latin. Les poèmes de la Genèse ou de VExode et celui du Rossignol et du Hibou renouent la tradition interrompue par les versions des Romans de chez nous, le Lay d'Havelok le Danois, par exemple, et le Roman du Roi Alexandre, que fit oublier le Roman de la Rose. Quelques vers au hasard extraits de l’une de ces épopées montrent le Français juxtaposé à l’Anglais, plutôt que mêlé : les deux langues ne se confondant qu’à la faveur du sens. That us telleth the mais très saunz failte And to hâve horses avenaunt To hem stalvorth and asperaunt

  • Citée dans le vers 103 de Fiers Plowman.