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— Au fond, voyez-vous, me dit le maître en me serrant la main, le monde est fait pour aboutir à un beau livre. AUR KOETÆRE Pour vous répondre, ici entre une cigarette et l’autre, par exemple il faut exclure, avec la fumée, presque les Vers, tragédies, poëmes épiques; mais je place au tabernacle pur des livres français et les Contes et les Cettres : celles-ci, aboutissement de la langue, en un négligé valant toute nudité. Le concis, ou le dégagé, égale, dans tel billet, la grâce du mobilier bref de l’autre siècle; ou les accords d’Haydn. Quant à l’œuvre, précisez-vous, il vaut un arrière-culte, je me rangerais volontiers au sens de notre temps qui y substitua l’attitude personnelle et générale de l’esprit, abstraitement : à faire plafonner, aux olympes, comme archer dévoré par la joie et l’ire du trait qu’il perd, lumineux. Jeu (avec miracle, n’est-ce pas ?) résumé, départ de flèche et vibration de corde, dans le nom idéal de — Voltaire. Tout ceci en vue de causer. Mes compliments. AHR POE Je révère l’opinion de Poe, nul vestige d’une philosophie, l’éthique ou la métaphysique ne transparaîtra; j’ajoute qu’il la faut, incluse et latente. Éviter quelque réalité d’échafaudage demeuré autour de cette architecture spontanée et magique, n’y implique pas le manque de puissants calculs et subtils, mais on les ignore; eux-mêmes se font, mystérieux exprès. Le chant jaillit de source innée : antérieure à un concept, si purement que refléter, au dehors, mille rythmes d’images. Quel génie pour être un poète ! quelle foudre d’instinct renfermer, simplement la vie, vierge, en sa synthèse et loin illuminant tout. L’armature intellectuelle du poème se dissimule et tient — a lieu —- dans l’espace qui isole les strophes et parmi le blanc du papier : significatif silence qu’il n’est pas moins beau de composer, que les vers.