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Agée à peine d’un siècle, la Musique aujourd’hui règne sur toute âme : culte pour plusieurs d’entre vous, éprises, et pour d’autres plaisir, elle a des catéchumènes et des dilettantes. Son prodigieux avantage est d’émouvoir par des artifices que l’on veut croire interdits à la parole, très-profondément, les rêveries les plus subtiles ou les plus grandioses; et encore d’autoriser qui l’écoute à fixer longtemps sur un point du plafond dénué même de peinture, le regard, en ouvrant une bouche heureuse de s’épanouir à son silence ordinaire. Toute l’existence mondaine est là : cacher les belles émotions supérieures pour lesquelles l’imagination est faite, et même souvent feindre de les avoir. Qui oserait se plaindre que, Muse incorporelle, toute de sons et de frissons, cette déité, la Musique, non, cette nue, douée de la pénétration d’un adorable fléau, envahisse maintenant un à un les théâtres de la ville : puisqu’elle évoque autour de ces foyers mondains de sa gloire, dans les loges, au balcon, vivants ! les types les plus merveilleux et les exemplaires les plus parés de la beauté féminine ? Éblouissantes, c’est partout à la fois et toujours que se donnent de pareilles fêtes : pour ne rien dire du Théâtre Italien, ressuscité avec son éclat traditionnel, autant derrière la rampe que sous le lustre, par le seul homme capable de ce miracle, M. Bagier : il appela du bord de la mer d’Afrique cette audacieuse intrépide, éclatante Mme Pozzoni, débutant chaque soir devant des fleurs et des bravos; il ramena des plus pures sources de l’art classique (où l’on voit, sur les apothéoses peintes, s’abreuver le chœur des nymphes) ce maestro impeccable, Vianesi; enfin, magie suprême! il sait, après une interruption de trois ans, et cela le premier jour, rendre aux escaliers, magnifique autant qu’il fut jamais, ce flot d’étoffes, de pierreries, de cheveux et d’attitudes qu’est la sortie des Italiens avant l’appel des voitures. Assez : non, il attend, ce dispensateur habile d’une des grandes joies parisiennes, pour continuer l’œuvre, française et contemporaine, accomplie par l’ancien Théâtre Lyrique et peut-être, hélas! abandonnée par le récent Opéra Populaire, que le héros du jour, M. Halanzier, de la Salle Ventadour où a pu, grâce à un prodige de tout instant, grâce à la Marquise de Caux, grâce à Faure, se perpétuer un an l’Académie Impériale de Musique! déménage vers le Palais, vers le Temple, vers le nouveau Théâtre inauguré avec 1875. La chance (ô mes chers amis, les compositeurs) serait, que le Châtelet de M. Fischer rencontrât, pour s’affirmer, une des partitions déjà magistralement enfouies sous de la poussière et parmi votre découragement : et qu’une autre partition, confinée au chef d’orchestre Colonne, comme celle-là au chef d’orchestre Maton, surgît pour consacrer le troisième Opéra