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Kécini s’empresse de rapporter l’entretien à sa maîtresse. Le cœur de Damayantî flotte entre le doute et l’espérance. « Tentons ! dit-elle : conduis mes deux enfants au cocher Vahouka. » Candide, profonde inspiration ! aux bras déjà tendus par le frère et la sœur, un cri, spontané, déchirant, irrésistible a jailli de Nala. Confus de s’être laissé surprendre, il se tourne vers la confidente, et : « Je t’en prie, laisse venir sur mes genoux ces enfants, trait pour trait ceux que je perdis. » Il couvre de baisers leur tête, riant, pleurant, lui-même redevenu innocent comme eux. « Plus de doute, Madame (Kécini revient à sa maîtresse) l’aspect du cocher Vahouka voile le héros Nala. Si vous aviez entendu le cri par l’émotion arraché à ce père, ou vu les caresses qu’il prodigue à vos enfants ! » Qu’il est, à de certaines heures, malaisé de feindre ! Tandis que Vahouka, amené par ordre de la princesse, baisse la tête et garde le respect d’un subalterne mis en présence d’une haute dame, la fille de Bhîma tâche de se composer un visage. Les deux époux s’examinent un instant, douloureusement : leur silence vaut toutes paroles. Si Damayantî écoutait son cœur, elle serait aux pieds de celui, à qui elle a tant à pardonner; d’une voix qu’elle s’efforce de raffermir : « Vahouka, vis-tu jamais un homme, connaissant le devoir, abandonner, la nuit, au milieu d’un désert, la mère de ses enfants, la dévouée épouse innocente par lui choisie entre toutes à la face des dieux ? — «Attends pour méjuger ! » s’écrieNala, devant ces paroles oubliant son rôle. « Si j’ai perdu aux dés mon royaume et te délaissai, sache qu’une malédiction m’accablait, possédé que je fus du méchant démon Kali; mais toi, avec ton libre arbitre, toi, que rien n’aveuglait, tu as voulu briser nos liens. Tes envoyés dans l’or de leurs trompettes ont proclamé mon agonie, ou que Damayantî allait choisir un autre époux ! Ritouparna n’accourt-il pas ivre d’espérance et demain l’Orient princier viendra, comme jadis, disputer ta main. Ah ! qu’il ne soit pas de dieux dans le nombre... Femme vindicative, tu as bien châtié le malheureux qui n’a cessé de t’aimer. » L’orgueil de Nala s’emporte sur l’ombre d’un soupçon: n’est-ce pas l’homme même de s’oublier coupable pour