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habitants prennent le frais sur les places publiques, ils considèrent avec étonnement cette femme moins qu’en haillons, marchant comme une insensée, les enfants la poursuivent et la huent. De la terrasse, rosie aux derniers feux du ciel, la mère du roi, qui a vu le cruel divertissement, envoie à l’étrangère sa nourrice, on l’introduit dans le palais. « O toi, yeux aussi grands que d’une déesse, tu brilles, sous ces loques, comme l’éclair dans un nuage; dis-moi, n’es-tu pas une immortelle? » Instruite par l’expérience, Damayantî juge prudent de dissimuler sa haute naissance. Mais : « Grande reine, je suis une humble ouvrière qui erre dans la forêt, nourrie de fruits sauvages et reposant sa tête où la nuit vient la surprendre. Voici des mois... J’avais un mari, tendrement aimé, mais possédé aussi par la passion du jeu. 11 perdit tout notre avoir et s’enfuit, pour cacher sa confusion : dès lors, je cessai de prendre un jour de repos et cours la terre pour ressaisir celui qui m’a laissée. — Sèche tes larmes (tout attendrie et embrassant Damayantî); ma fille Sounandâ a ton âge, tu seras sa compagne. Reste avec nous, ne désespère pas : on enverra, partout, des messagers, pour découvrir la retraite de cet époux. » La jeune femme accepte avec empressement une offre inespérée. Un jour, elle aide sa nouvelle amie, et la mère excellente de celie-ci, à recevoir avec le respect dû, un Brahmane entré, comme par hasard, dans la ville de Tchédi. Le vieillard considère, presque avec importunité, un signe rouge qui fleurit, entre les deux sourcils, sur le front pâle de la jeune suivante : « Damayantî » profère-t-il et le trait de pourpre se dissipe en un incarnat léger sur le visage entier qu’elle veut cacher de ses mains. Aussitôt : « Princesse, n’ayez peur. Le roi Bhîma promit une récompense de mille vaches à qui retrouverait son gendre et sa fille; plusieurs d’entre nous partirent, je suis l’heureux, qui vous ramènerai, vous au moins, chez les Vidharbains. » La reine : « C’était un pressentiment, exhale-t-elle, serrant la jeune femme contre sa poitrine : ta mère, ma sœur, est, comme moi, fille du roi Soudâman, je te vis enfant dans le palais de mon père. » Joies du départ, fêtes du retour, en vain; rien ne distrait l’épouse, qui pleure, seule, toutes ses larmes. Si