Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/645

Cette page n’a pas encore été corrigée

Vivre ainsi déchu, lui, auprès de la femme aimée, quelle humiliation : mieux, mourir ! » Le spectre de soi, il va et vient entre les murs chétifs, en proie à l’assaut d’une lutte. Qu’il parte, Damayantî retrouvera peut-être un destin meilleur; mais, seule, laisser, dans les jungles, à la dent des tigres et des serpents, la confiante qui s’endormit sous sa protection : aura-t-il ce triste courage ? Vingt fois l’entraîne Kali, mais la pitié le reprend. Le démon vainc. Nala jette un regard obscurci de larmes sur celle qu’il abandonne : « Femme très chérie, n’ose-t-il proférer, que les dieux t’environnent de leur protection : puisses-tu loin de Nala, connaître le bonheur qu’il ne sut te donner ! » Eperdu, cette fois et sans plus retourner la tête. Damayantî s’éveille souriante, au soleil qui pénètre, ses yeux cherchent le roi : doucement elle l’appelle puis avec des cris : que le cruel écho renvoie, ô solitude ! — « Quoi ! est-ce possible. Nala, tu n’as pas profité de mon sommeil pour me délaisser; comme l’éléphant, sa compagne, au silence de la forêt. T’ai-je offensé, mon Seigneur, non : me suis-je plainte, jamais. A ta suite mes pieds se déchiraient aux ronces. Tes souffrances, la faim, ne les ai-je conjurées avec ma caresse ? Je suis folle de m’inquiéter. Tu n’es pas parti. Tu épies ma douleur, caché par un buisson, m’entends pleurer et ne viens pas me consoler, ingrat ! le jeu méchant, cesse-le, au plus vite. » L’antilope bondit, qui veut rejoindre son troupeau; elle, en esprit, de même : jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus douter de l’affreuse vérité. « Hélas ! (s’agenouillant) coupable, il ne l’est pas ; mais à plaindre plus que moi : et que deviendra-t-il, privé de sa compagne ? » Immolation sublime du véritable amour : elle-même s’oublie et cherche des excuses à qui la précipita dans le malheur. Une liane prodigieuse se balance, mue d’aucun vent et dans le calice qu’elle laisse pendre gemmé d’une sombre pierrerie, Damayantî n’a pas reconnu le boa, qui gueule ouverte et regard étincelant, va la mordre. A ses cris, accourt un chasseur de gazelles; une flèche, le reptile se déroule mort. La princesse sortie d’un évanouissement, dirige, à travers son effroi, des mots fervents vers son