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les jette dédaigneusement aux pieds de son adversaire, s’enfuit. Damayantî reste à la porte du palais, attendant son mari, ses deux enfants conduits à leur aïeul. Abandonnés de tous (à mort ! menace Poushkara, quiconque accompagnera le couple royal) Nala et Damayantî quittent la ville où ils ont régné. Ils marchent au hasard d’un sentier de forêt. « O dés, hurle l’impuissant comme la rage le serre au cœur, noirs combattants qui ne cédez à l’objurgation ni aux prières, les rois, si vous les possédez, devant vous courbent la tête : vous me brûlez, charbons célestes, de désir encore et de regrets, vous m’avez tout pris, je vous maudis; ô dés impitoyables* ! — Toi, femme innocente, porteras-tu le poids de mes fautes ? Voici, devant nous, la route du sud; là-bas, derrière les monts Vindhyas et la rivière Payôchni, est le royaume natal de Vidharbhâ, désormais tu dois y vivre auprès de tes parents. — Viens-y avec moi, cher époux; mon père sera heureux de cette hospitalité et de réparer les torts de la fortune à ton égard. — Y songes-tu ! reparaître en mendiant où j’ai brillé roi : implorer la pitié de ton père, moi qui me crois encore son égal. — Alors, je ne te quitte pas : monarque je t’aimai, je t’aime davantage pauvre et dénué. Nous serons riches encore, s’il reste à Nala mon bras pour le soutenir, mon sein pour qu’il y repose sa tête, et ma voix et mes yeux où goûter l’oubli de ses chagrins. -— O Damayantî, les dieux ont pétri de ciel la femme, dont le dévouement console l’homme affligé et je ne me plaindrai plus du sort, ma bien-aimée. » Une cabane; déserte, elle se présenta sur la route au couple exténué par quatre jours de marche et de faim, son toit leur accorde du moins le sommeil, sous les roseaux. Nala les heurte du front, il ne dort pas; Kali, le mauvais esprit, le hante de pensées d’orgueil. « Sur la terre, sans natte et sans couverture, voilà donc couchée celle qui ne posait ses sandales que sur des tapis de fourrures et de plumetis : sa chevelure y coule souillée et découvre un visage ignorant la poussière jusqu’ici que de l’aile des papillons la frôlant au détour. Le droit, l’a-t-il, Nala, de vouer à tant de privations la princesse méconnaissable qui rieuse et illustre l’a choisi entre tous.

  • Voyez l’hymne au Dieu du Jeu, dans le Rig Véda. Traduction Langlois, 2e édit., p. 531.