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vous ; les appartements des femmes sont gardés de près ; et terribles les ordres du roi. — Cela t’arrête, mortel timide; Indra saura t’introduire dans le gynécée. » Par la puissance du dieu, Nala se trouva transporté, à l’instant, parmi les glaces du sérail : vertigineux, ébloui. Repos, éventails agités par les femmes de Damayantî, autour d’elle; les lampes éteintes, la fraîcheur du soir inonde librement chaque ouverture. Légère comme les nuées flottant après une pluie d’automne, la vierge royale ondule sur l’argent et la soie d’un duvet de cygne, on croirait la blancheur semée par l’envol du cher messager, dont la confidence la trouble encore. La lune infiltrait ses rayons dans l’ombre dénouée d’une chevelure incomparable et jusqu’à des prunelles cachées sous les points vacillants de cils noirs : les yeux s’y ferment, au milieu de cette tête pâlie ils évoquent un lotus avec une abeille double endormie dans sa corolle. Seules brillent des lèvres avec un feu de rubis, sur leur chaste grenade la bouche d’un vainqueur n’a jamais désaltéré sa soif. Plutôt le bouton du Tchampaka avant de devenir vermeil, le contour clair des joues. Quelques gouttes de sueur, ingénu collier glissé, perlent aux bras, aux épaules; au sein, que soulève l’avenir. Le héros tressaillit des secrets de cette beauté surprise quoique inviolée. Fleur irrespirée encore, fruit au goût de mystère, Nala, devait-il renoncer à te posséder : en s’exprimant, devant toi, pour d’autres que pour lui ! Un cri, jeté par les femmes du sérail, devant un homme, les lampes précipitamment rallumées : la colère s’évanouit à l’aspect de Nala : « Est-ce un homme ? présumaient-elles ; plutôt un Ghandharva, un Yachka* ? La bienséance seule contint la rumeur de leur admiration. Damayantî ouvre les yeux et regarde celui qu’elle n’avait encore vu qu’en rêve : debout, toute rougissante : « Parle vite ; qui es-tu ? Sur l’aile d’un génie, ou sinon comment vins-tu ? — Pardonne ma hardiesse, reine; je suis envoyé, près de toi, par les dieux et grâce à eux, j’ai pu arriver jusqu’ici, sans être vu. Indra, Agni, Varouna et Yama aspirent tous quatre à ta main et te pressent de choisir. »

  • Gandharva ou musicien du ciel d’Indra. Yachka, gardien des trésors du dieu des richesses.