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Debout, contre son arbre, le prince s’empare de la fleur froissée que la jeune fille a lancée à terre : il est passionnément amoureux et partant disposé à toutes les folies imaginables. Rentré au palais, il monte chèrement sur la terrasse où le roi tient conseil : « Sire, halète-t-il sans autre préambule, je suis épris de la vieille servante qui demeure aux portes de la ville, chez le fermier de Votre Majesté et, avec votre consentement, je prétends l’épouser aujourd’hui même. » Les ministres, malgré le respect dû aux souverains, ne peuvent réprimer un geste d’étonnement. « Quoi ! ce jeune homme, dont toutes d’un œil extasié suivent la démarche, quand il passe, superbe, par les rues; ce prince qui posséderait les femmes les plus belles du monde; être tombé à des goûts aussi dépravés ! » Le roi, lui, reste abasourdi d’une si étrange prière : « Perdez-vous la raison mon fils ! émet-il enfin. Epouser cette antique mendiante, un ramas d’os abject, lorsque la terre abonde en princesses merveilleuses. Oseriez-vous, à notre race, dont les fils ont reçu la splendeur en partage, infliger cette honte ?» —- « Soit, mon père; vous me refusez, je vais de ce pas me jeter dans les flots de la Gangâ, puissent les dieux vous pardonner ma mort ! » La reine, instruite, intercède pour un fils adoré : ce caprice d’esprit malade, une passagère lubie, il les faut satisfaire encore que ce soit pour longtemps. La journée s’écoule dans ces luttes domestiques; l’enfant gâté finalement triomphe. A la lueur des flambeaux, on va chercher la prétendue vieille, qui n’ose refuser un tel honneur, n’y comprend rien, elle ; la fiancée d’un roi ! vraiment ce fut la peine de s’enlaidir pour atteindre pareil résultat ! du moins se gardera-t-elle d’ôter son masque, le prince la verrait trop belle pour lui laisser courir les champs, il lui défendrait la poursuite de cette sœur que, plus que jamais, elle souhaite de retrouver. Deux ou trois officiers du palais assistent à la cérémonie, que célèbre un vénérable brahmane, prêtre attitré de la lignée royale. Le prince rayonne; il entraîne dans la chambre nuptiale sa hideuse épouse et de cette voix câline que les hommes savent prendre à l’occasion : « Ma bien-aimée, il supplie, nous voici seuls enfin; ôtez, je vous conjure cette triste peau qui dérobe à ma bouche vos traits divins. — Ces paroles sont, pour moi, une