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tendit à l’adolescent la jatte d’eau fraîche qu’on offre aux voyageurs. Méconnaissable avec sa figure masquée de poudre noire et des loques à la hâte fripées sur son vêtement, on eût cru la plus vulgaire des servantes; le rusé prince ne s’y laissa prendre : il flairait un mystère et, sans boire l’eau présentée, brusquement la jette au visage de la princesse. Le teint reparaît et son premier incarnat. Si le procédé était vif, le Seigneur s’en excuse aussi éloquemment que le peut faire un beau garçon subitement frappé d’amour. Son cœur, sa main, et ses trésors, tout, il l’offrit à la belle; qui se taisait intimidée et songeant au retour de sa sœur. Pas un instant, il n’admit l’idée qu’on pût refuser d’être la bru d’un roi. Cette rougeur et ces larmes, il les attribue à un pudique embarras et sans plus, entoure la mignonne de ses bras robustes. Une litière attendait dans la forêt : En route pour Hastinapoura ! — Quoi ! pas le temps même de tracer quelques lignes d’adieu : un véritable enlèvement. A Goutte-de-Rosée vient une illumination, en vue de laisser un fil à la pauvre revenue qui va trouver tout désert. Elle défile son collier, déchire une écharpe de mousseline et, dans chaque lambeau enveloppe une perle, ce poids précieux fixera l’étoffe au gazon. Le Voyage de plusieurs jours : tout le long elle sème les perles, jetant la dernière avant d’entrer dans le palais, chez son futur beau-père. Le portail de bois et de nacre fermé, elle songe, dans la cour, à l’abandon où demeure Fleur-de-Lotus; puis sanglote au dedans de soi à l’unisson avec les jets d’eau. Le soleil, ses rayons atténués, inclinait à l’occident, là-bas, quand la bergère rassembla son troupeau; inquiète qu’à l’encontre d’une habitude chère personne ne fût allée au-devant d’elle : bientôt entre, appelle, fouille en vain; et elle se fatigue, l’écho seul éveillé de la maison solitaire. La vérité apparaît : on lui a ravi sa compagne. Mieux que se lamenter, certaine elle dormira et remet au lendemain ses recherches. Sur pied, avant l’aurore, une première perle aperçue dans la pelouse à l’extrémité du jardin, elle devine l’intention de sa sœur. Marche droit sur une route allongée au soleil et dans la poussière. Parfois elle est plus d’une heure sans découvrir de perles. Les laboureurs lui accordent par charité quelques poignées de riz et le coucher à l’étable; elle a dans sa préci-