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pérée, je me réveillai sans le précieux dépôt, que je devais garder jusqu’à la mort. Un berger Bhilla*, de ses flèches, a immobilisé le fauve : j’étais dans sa hutte. J’appris que les femmes avaient emporté l’enfant dans la montagne, où le miel naît. Qu’est-il devenu ? l’a-t-on laissé grandir comme la plante Soma à l’ombre des bois ? Il aurait ton âge, mon fils, et si les jeûnes d’une pauvre ascète le rétablissaient dans son triomphe, il serait aujourd’hui le plus puissant des hommes. » — « Embrasse-le donc bien vite, ma mère : car il est devant toi, ce nourrisson tant pleuré. » —- « Mon cœur me l’avait déjà dit », exulta la nourrice, en serrant le jeune homme contre sa poitrine et le baisant sur la tête et les cheveux, comme autrefois, riant, pleurant, dans un radotage joyeux et fou... Lui : « On ne t’avait pas trompée, un ermite, qui demeure sur la montagne, se chargea de m’élever, et de m’instruire. Je sus dès le jeune âge la douloureuse histoire de ma famille et viens ici conduit par la vengeance. Sur mon front, tu le lis, il y a : que je délivrerai mon père et ma mère; moi, dont personne ne soupçonne l’existence. » — « Ah ! mon fils, la faveur de Bhagavat t’ouvre ses trésors; ton étoile t’amena : le peuple irrité, sous les impôts et avec le regret de son souverain légitime^ est prêt à se révolter et, grâce à toi, nous aborderons aux temps nouveaux ! Demeure dans ce temple, nul ne t’y viendra chercher. » Le prince, après un repas de fruits, se coucha sur des feuilles. Il ne dormit guère, il réfléchit longtemps et, le matin, faites ses prières et ses ablutions, il s’approcha de sa nourrice. « Mère, il me faut savoir ce qui se passe dans le gynécée du cruel Vikatavarma. — Que les dieux soient loués ! L’humble ascète est en possession d’un moyen de te servir. Voici une amulette, travail de mes après-midi, ce bijou sacré, enchâssant toutes les gemmes de ce pays en l’épanouissement multicolore d’un paon, que je veux, comme gorgerin, proposer à la reine : elle me reçoit en ses heures d’ennui. — La reine ! dis-moi, est-elle fidèle à son époux ? — Nuit et jour, gardée à vue dans le palais, il lui serait

  • Tribu sauvage montagnarde.