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Il ne se borne pas à copier oiseusement, et sans pensée, chaque brin d’herbe, comme l’en avisent des inconséquents; mais, dans la courbe longue d’une feuille étroite, corrigée par le jet élancé de sa tige, il apprend comment la grâce se marie à la dignité, comment la douceur se rehausse de force, pour que résulte l’élégance. Avec l’aile couleur citron du papillon pâle, ses fines taches couleur orange, il voit devant lui les pompeux palais d’or clair, non sans leurs fluets piliers safranés; et il lui est enseigné comment de délicats dessins haut sur les murs se traceront en tons tendres d’orpin et se répéteront à la base par des notes de teinte plus grave. Il trouve dans ce qui est subtil et gracieux des insinuations pour ses propres combinaisons, et c’est ainsi que la nature demeure sa ressource et est toujours à son service; à lui, rien de refusé. A travers son cerveau comme à travers l’alambic, se distille l’essence très pure de cette pensée qui commença aux dieux, et qu’ils lui laissent à effectuer. Mis par eux à part pour compléter leur ouvrage, il produit cette chose merveilleuse appelée le chef-d’œuvre qui dépasse en perfection tout ce qu’ils ont essayé en ce qu’on appelle nature; et les dieux regardent faire et s’étonnent et perçoivent combien de tout un monde est plus belle la Vénus de Milo que ne l’était leur Ève à eux. Voici quelque temps, l’écrivain sans attaches au beau s’est fait intermédiaire en cette chose de l’Art, et son influence élargissant l’abîme entre le public et le peintre a amené le malentendu le plus complet, relativement à l’objet de la peinture. Pour lui une peinture est plus ou moins l’hiéroglyphe ou le symbole d’une histoire. Dans le peu de termes techniques qu’il trouve l’occasion d’étaler, l’œuvre est par lui considérée absolument d’un point de vue littéraire; en vérité, de quel autre le peut-il considérer? Et dans ses critiques, il se comporte avec, comme vis-à-vis d’un roman — d’une histoire — ou d’une anecdote. Il manque entièrement et tout naturellement d’en voir l’excellence — ou le démérite — artistiques, et dégrade ainsi l’Art en y voyant une méthode pour aboutir à un effet littéraire. L’Art entre ses mains, devient donc un moyen de per-