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son « blason d’or, au chef d’azur chargé d’un dextrochère, revêtu d’un fanon d’hermine brochant sur le tout ». Ni japon, ni vélin, le fidèle chiffon était quelquefois lent à se déplier, dans le sens exact, auparavant, avec le désespoir de la perfection, sans doute froissé : or voici, tant la surcharge le muait en palimpseste ou, je dois dire, l’usure en oblitérait la teneur, que ne se présentait rien de déchiffrable. L’abondante et presque morbide mémoire de l’auteur eût exclu toute déception; des textes comme ceux-ci émanaient souvent : « dépendant, au déclin de cette journée, dans Bénarès, une rumeur de gloire et de fête étonnait le silence accoutumé des tombées du soir. La multitude emplissait d’une allégresse grave les rues, les places publiques, les avenues, les carrefours et les pentes sablonneuses des deux rivages, car les veilleurs des tours saintes venaient de heurter, de leurs maillets de bronze, leurs gongs où tout à coup avait semblé chanter le tonnerre. Ce signal, qui ne retentissait qu’aux heures sublimes, annonçait le retour d’Akëdysséril, de la jeune triomphatrice des deux rois d’Agra — de la svelte veuve au teint de perle, aux yeux éclatants — de la souveraine, enfin, qui, portant le deuil en sa robe de trame d’or, s’était illustrée à l’assaut d’Eléphanta par des faits d’héroïsme qui avaient enflammé autour d’elle mille courages. Tous les yeux interrogeaient l’horizon. —Viendrait-elle avant que montât la nuit ? Et c’était une impatience à la fois recueillie et joyeuse. Le soir, qui l’illuminait, empourprait le grandiose entourage. Entre les jambes des éléphants pendaient distinctes, sur le rouge-clair de l’espace, les diverses extrémités des trompes; et, plus haut, latérales, les vastes oreilles sursautantes, pareilles à des feuilles de palmier. Dominant le désordre étincelant au centre d’un demi-orbe formé de soixante-trois éléphants de bataille tout chargés de sowaris et de guerriers d’élite, que suivait, de tous côtés là-bas, là-bas l’immense vision d’un enveloppement d’armées, apparut l’éléphant noir, aux défenses dorées, d’Akëdysséril. A cet aspect, la ville entière, jusque-là muette et saisie à la fois d’orgueil et d’épouvante, exhala son convulsif transport en une tonnante acclamation; des