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Quel est le pouvoir du Songe ! Le — je ne sais quel effacement subtil et fané et d’imagerie de jadis, qui manque à des maîtres-artistes aimant à représenter un fait comme il en arrive, clair, battant neuf ! lui Hamlet, étranger à tous lieux où il poind, le leur impose à ces vivants trop en relief, par l’inquiétant ou funèbre envahissement de sa présence : l’acteur, sur quoi se taille un peu exclusive à souhait la version française, remet tout en place seul par l’exorcisme d’un geste annulant l’influence pernicieuse de la Maison en même temps qu’il épand l’atmosphère du génie, avec un tact dominateur et du fait de s’être miré naïvement dans le séculaire texte. Son charme tout d’élégance désolée accorde comme une cadence à chaque sursaut : puis la nostalgie de la prime sagesse inoubliée malgré les aberrations que cause l’orage battant la plume délicieuse de sa toque, voilà le caractère peut-être et l’invention du jeu de ce contemporain qui tire de l’instinct parfois indéchiffrable à lui-même des éclairs de scoliaste. Ainsi m’apparaît rendue la dualité morbide qui fait le cas d’Hamlet, oui, fou en dehors et sous la flagellation contradictoire du devoir, mais s’il fixe en dedans les yeux sur une image de soi qu’il y garde intacte autant qu’une Ophélie jamais noyée, elle ! prêt toujours à se ressaisir. Joyau intact sous le désastre. Mime, penseur, le tragédien interprète Hamlet en souverain plastique et mental de l’art et surtout comme Hamlet existe par l’hérédité en les esprits de la fin de ce siècle : il convenait, une fois, après l’angoissante veille romantique, de voir aboutir jusqu’à nous résumé le beau démon, au maintien demain peut-être. incompris, c’est fait. Avec solennité, un acteur lègue élucidée, quelque peu composite mais très d’ensemble, comme authentiquée du sceau d’une époque suprême et neutre, à un avenir qui probablement ne s’en souciera mais ne pourra du moins l’altérer, une ressemblance immortelle.