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8 POÈMES D’ENFANCE ET DE JEUNESSE

Sentait battre son cœur et se mouiller son œil. Elle, riant, disait : « Mère, pourquoi ce deuil ? » Pourquoi ce deuil, o mère ? Elarriet est l’auréole Qui luit sur la famille, et dont l’éclat console. C’était l’àme de tout ! la France au ciel d’azur A pleuré de la voir fuir son beau soleil pur. Son lac américain où le Niagara brise L’algue blanche d’écume, a gémi sous la brise : « La mirerons-nous plus, comme aux hivers passés ? » Car, comme la mouette, aux flots qu’elle a rasés Jette un écho joyeux, une plume de l’aile, Elle donna partout un doux souvenir d’elle ! De tout que reste-t-il ? que nous peut-on montrer ? Un nom ! sur un cercueil où je ne puis pleurer ! Un nom ! qu’effaceront le temps et le lierre ! Un nom ! couvert de pleurs, demain de poussière Et tout est dit.

Oh ! non, doit-on donc l’oublier ? Qui sut se faire aimer ne meurt pas tout entier ! On laisse sa mémoire ainsi qu’aux nuits l’étoile Laisse une blanche lueur qu’aucune ombre ne voile : Et, mort en son cercueil, on revit dans les cœurs ! Non !... tout n’est pas perdu ! pour endormir leurs pleurs, Le soir, elle viendra sous les ailes d’un ange A ses sœurs murmurer des neuf chœurs la louange ! Dans leurs rêves dorés, ses frères sur leur front Sentiront un baiser, et ravis, souriront ! Quand la brise des nuits sous la lune argentée Gémira par le parc en la feuille embaumée, On la verra passer comme une ombre d’azur Et le matin la fleur sera d’un bleu plus pur ! Enfants, oh ! pleurez-la comme une sœur éteinte, Mais aussi priez-la comme on prie une sainte ! Le soir à la prière, où manquera sa voix, N’oubliez pas un nom gravé sous une croix ! Car c’était une vierge au regard d’innocence Que le ciel vous prêta pour bénir votre enfance : Il lui rendit son aile, elle revint à Dieu ! Mais en partant du moins elle vous dit : Adieu !...