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marche rayonnante, cependant que l’éditeur Malassis monnaie en écus leur étoile. Une troisième volupté serait de les défendre sous forme d’oraison funèbre ; malheureusement elle me sera refusée avec les Poésies parisiennes, car voici que ces Mabs et ces Titanias, vêtues en brida-lines, font craquer triomphalement dans tous les sentiers du Tendre, leurs bottines à lacets rouges et tachent leurs gants Carimys à toutes les mûres du Permesse, folles de jeunesse et d’espérance. Les Poésies parisiennes sont évidemment le volume de vers le plus fort qui ait paru depuis les derniers chefs-d’œuvre du siècle, les Fleurs du Mal et les Odes funambulesques. C’est, en outre, le plus original. J’insiste sur ce trait que je n’avais pas suffisamment éclairé dans le portrait que je fis d’elles autre part, il y a deux mois. Des esprits fort savants en choses poétiques annonceront, sans sourciller, qu’on y imite Gautier parce qu’on y rime merveilleusement : d’autres, qu’il y a là un reflet de Théodore de Banville probablement parce que notre moderne Aristophane qui décoche contre la Réalité la flèche d’or de son arc divin, l’idéal, fait juste le contraire d’Em. des Essarts, lequel prend le Réel au sérieux et le lyrise. Un critique ou deux, je crois, ont montré cette immense perspicacité. 11 eût fallu, sans doute, au gré de ces Messieurs, s’affranchir des formes de nos maîtres, et dédaigner leurs innovations; à ce compte, après le raisin, il n’était plus permis au lilas de fleurir, car le rythme de la grappe était inventé. Pour le fond, ce livre est entièrement neuf. Je sais que les mêmes esprits, s’ils voient perler au bout d’une touffe de vers, ces douces larmes où luit un sourire, murmureront les noms de Musset, même de Murger (deux faibles sympathies de l’auteur, pourtant), et qu’ils découvriront ingénument que notre poêle, quand il s’élève, vole dans le lumineux sillage d’Hugo, toujours par cette même raison judicieuse qu’un homme ne pourra plus rire en pleurant, et donner un coup d’aile et être lui. Tous les grands maîtres antiques et modernes sont des plagiaires d’1 Iomère et Homère est un plagiaire de Dieu. Je pourrais m’arrêter ici : l’originalité sérieuse d’une œuvre quelconque une fois établie, l’œuvre est jugée, et le lecteur fait lui-même sa critique de détail; cependant j’essaierai, après nos maîtres les mieux aimés, d’esquisser