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la prose de M. I.aya, je leur dirais sérieusement : « Il est beau, quand tant d’êtres ont un feu et un fauteuil à eux, lesquels n’ont jamais pensé, qu’un de vous, chers errants, ramasse la lyre oubliée. » Que sera-ce donc quand leur œuvre est une œuvre dont tout poète à bon droit s’enorgueillirait ? Et chacun sait qu’un acteur de Rennes s’appelle Glatigny, comme chacun saura qu’un acteur de Sens s’appelle Léon Marc. Nous sortons de voir le drame de ce dernier, — « la Milanaise et l’Autrichien », — et nous subissons encore son charme, charme austère et grave, car il s’agit ici, non positivement de l’éternelle grande lutte entre le devoir et le cœur, mais de celle de deux grandes passions : l’amour et le patriotisme. La prose nerveuse, colorée sobrement et raisonnée à la façon de Vacquerie : les situations franches et simples, mais toujours sérieusement originales : les idées larges et libres, et, bien que palpitantes d’actualité, s’isolant dédaigneusement dans la sérénité de l’abstraction; des effets de scène neufs, chose infiniment rare chez un poète dramatique acteur : une grande place réservée à l’analyse moderne (de là quelques longueurs), voilà ce qui fait rayonner ce drame en mon souvenir, d’où tant d’autres se sont évanouis qui ne sont pas même d’antan ? Je savais combien était délicat et mâle en même temps le talent de M. Léon Àlarc, et j’avais applaudi à l’idée qu’il eut de donner son drame un dimanche. Le public de ce jour qui ne vient pas uniquement digérer dans une stalle, garde en lui plus profondément empreint le sentiment de la grandeur. C’est une illusion de plus émigrée au pays bleu des rêves; non, si les directeurs servent au parterre La Grâce du Mouton avec le Pied de Dieu c’est que les parterres l’exigent et ont conscience que cela seul est à leur hauteur. Je m’en suis convaincu quand je vis que ce qui, parmi tant de scènes palpitantes, a le plus vivement frappé la foule, est l’apparition d’un pantin ridiculement fagotté en Autrichien, et qu’un rire fort spirituel épanouit tous les rictus à la vue de M. et Mmc Léon Marc, le mari et la femme, jouant une scène d’amour. O prodigieux esprit du peuple français, né intelligent !