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POUR ANNIE Grâce au ciel ! la crise — le danger est passé, et le malaise traînant est loin enfin — et la fièvre appelée « Vivre » est vaincue enfin. C’est tristesse, je le sais, que d’être dénué de ma force, et je ne meus pas un muscle, moi qui gis tout de mon long — mais n’importe ! Je sens que je suis mieux à la longue. Et je reste si posément maintenant dans mon lit, qu’un spectateur pourrait s’imaginer ma mort, pourrait tressaillir à ce spectacle, me croyant mort. Geignement et gémissement — le soupir, le sanglot — sont maintenant apaisés, avec cet horrible battement du cœur : ah ! cet horrible, horrible battement. Le malaise — la nausée — l’impitoyable douleur — ont cessé, avec la fièvre et sa démence au cerveau — avec la fièvre appelée « Vivre » qui brûlait dans mon cerveau. Oh ! et de toutes tortures — cette torture — la pire, s’est abattue — la terrible torture de la soif pour le fleuve bitumineux de passion maudite : — j’ai bu d’une eau qui étanche toute soif. D’une eau qui coule avec des syllabes endormantes hors d’une source rien qu’à très peu de pieds sous terre — hors d’une caverne pas très avant située sous la terre. Ah ! et que jamais on ne dise — sottement — que ma chambre est obscure, ni étroit mon lit; car homme n’a jamais dormi dans un lit différent — et, pour dormir, vous aurez juste à sommeiller dans un tel lit. Mon esprit à la Tantale ici se repose agréablement, oubliant ou ne regrettant jamais ses roses — ses vieilles agitations de myrtes et de roses.