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était plus que l’amour, — moi et mon Annabel Lee; d’un amour que les séraphins ailés des deux convoitaient à elle et à moi. Et ce fut la raison qu’il y a longtemps, — un vent souffla d’un nuage, glaçant ma belle Annabel Lee; de sorte que ses proches de haute lignée vinrent et me l’enlevèrent, pour l’enfermer dans un sépulcre, en ce royaume près de la mer. Les anges, pas à moitié si heureux aux deux, vinrent, nous enviant, elle et moi — Oui ! ce fut la raison (comme tous les hommes le savent dans ce royaume près de la mer) pourquoi le vent sortit du nuage la nuit, et tuant mon Annabel Lee. Car la lune jamais ne rayonne sans m’apporter des songes de la belle Annabel Lee; et les étoiles jamais ne se lèvent que je ne sente les yeux brillants de la belle Annabel Lee; et ainsi, toute l’heure de la nuit, je repose à côté de ma chérie, — de ma chérie, — ma vie et mon épouse, dans ce sépulcre près de la mer, dans sa tombe près de la bruyante mer. Mais, pour notre amour, il était plus fort de tout un monde que l’amour de ceux plus âgés que nous; — de plusieurs de tout un monde plus sages que nous, — et ni les anges là-haut dans les deux, ni les démons sous la mer ne peuvent jamais disjoindre mon âme de l’âme de la très belle Annabel Lee. LA DORMEUSE A minuit, au mois de Juin, je suis sous la lune mystique : une vapeur opiacée, obscure, humide, s’exhale hors de son contour d’or et, doucement se distillant, goutte à goutte, sur le tranquille sommet de la montagne, glisse, avec assoupissement et musique, parmi l’universelle vallée. Le romarin salue la tombe, le lis flotte sur la vague; enveloppant de brume son sein, la