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il disposa le manuscrit de son poëme, et il se mit à lire d’une voix basse, égale, sans le moindre « effet », presque à soi-même. « ... Mallarmé, m’ayant lu le plus uniment du monde son Coup de dés, comme simple préparation à une plus grande surprise, me fit enfin considérer le dispositif. Il me sembla de voir la figure d’une pensée, pour la première fois placée dans notre espace... Ici, véritablement, l’étendue parlait, songeait, enfantait des formes temporelles... « ... Le 30 mars 1897, me donnant les épreuves corrigées du texte que devait publier Cosmopolis, il me dit avec un admirable sourire, ornement du plus pur orgueil inspiré à un homme par son sentiment de l’univers : « Ne trouvez-vous pas que c’est un acte « de démence ? » « Un peu plus tard, à Valvins, sur le rebord d’une fenêtre ouverte au calme paysage, étalant les magnifiques feuilles d’épreuves de la grande édition composée chez Lahure (elle ne vint jamais à paraître), il me fit le nouvel honneur de me demander mon avis sur certains détails de cette disposition typographique, qui était l’essentiel de sa tentative. Je cherchai, je proposai quelques objections, mais dans le seul dessein qu’il y répondit... « Le soir du même jour, comme il m’accompagnait au chemin de fer, l’innombrable ciel de juillet enfermant toutes choses dans un groupe étincelant d’autres mondes, et que nous marchions, fumeurs obscurs, au milieu du Serpent, du Cygne, de l’Aigle, de la Lyre, il me semblait maintenant d’être pris dans le texte même de l’univers silencieux... Au creux d’une telle nuit, entre les propos que nous échangions, je songeais à la tentative merveilleuse : quel modèle, quel enseignement là-haut ! Où Kant, assez naïvement, peut-être, avait cru voir la Loi Morale, Mallarmé percevait sans doute l’impératif d’une poésie, une Poétique... Il a essayé, pensai-je, d’élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé. » Au cours d’une conférence faite par M. André Gide, au Théâtre du Vieux-Colombier, le 22 novembre 1913 et qui fut reproduite dans la Vie des Lettres, numéro d’avril 1914, celui-ci a cité le passage d’une lettre qu’il reçut de Mallarmé au sujet de ce poëme. « Le poëme s’imprime, en ce moment, tel que je l’ai conçu quant à la pagination, où est tout l’effet. Tel mot en gros caractères à lui seul demande toute une page de blanc, et je crois être sûr de l’effet. Je vous enverrai à Florence la première épreuve convenable. La constellation y affectera, d’après des lois exactes, et autant qu’il est permis à un texte imprimé, fatalement une allure de constellation. Le vaisseau y donne de la bande, du haut d’une page au bas de l’autre, etc. ; car, et c’est là tout le point de vue (qu’il me fallut omettre dans un périodique), le rythme d’une phrase au sujet d’un acte, ou même d’un objet, n’a de sens que s’il les imite, et figuré sur le papier, repris par la lettre à l’estampe originelle, n’en sait rendre, malgré tout, quelque chose. » Mallarmé, peu avant sa mort, avait apporté ses soins à une