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« Mon cher capitaine, vous savez si j’aime m’embarquer avec vous pour un travail quelconque. Mais aujourd’hui, c’est au-dessus de mes forces. Je ne me sens pas capable de faire proprement ce que vous me demandez. Je n’ai pas de modèles et surtout pas d’imagination. Je ne ferais rien qui vaille, excusez-moi donc. » Puis, se ravisant, quelques jours plus tard, il lui récrivait : [Août 1881]. « Mon cher ami, « J’ai des remords et crains que vous m’en veuillez un peu, car j’y songe, c’est de l’égoïsme de n’avoir pas quand même accepté le travail que vous me proposiez, mais aussi certaines choses que vous m’indiquiez me semblaient impossibles à faire, entre autres la femme qu’on voyait dans son lit par une fenêtre. Vous autres poètes, vous êtes terribles et il est souvent impossible de figurer vos fantaisies. Enfin, je n’étais pas alors très bien portant et je craignais de ne pas arriver à temps. S’il est possible de renouer l’affaire au retour à Paris, je tâcherais (sic) d’étre à la hauteur du poëte et du traducteur, et puis je vous aurai là pour me donner de l’élan. » Rien ne prouve qu’il s’agisse là d’un désir, exprimé par Mallarmé, d’illustrations pour des poèmes d’Edgar Poe; mais le mot « traducteur » est une présomption et la phrase « la femme qu’on voyait dans son lit par une fenêtre » ne se rapporterait-elle pas à la Dormeuse : « Toute Beauté dort : et repose. Sa croisée ouverte au ciel... » et à la suite du poème. Les proportions volumineuses de l’ouvrage, les illustrations d’Édouard Manet, fort discuté encore en 1875, la singularité, pour le gros des lecteurs, du poëme d’Edgar Poe, le nom encore à peu près inconnu de Mallarmé, tout concourut à éloigner les acquéreurs possibles d’un ouvrage publié pourtant à petit nombre (240 exemplaires) et à un prix (25 frs) qui semble aujourd’hui modique. Ce n’est pas que Mallarmé ne fit de son mieux pour en assurer le succès, ou à tout le moins la connaissance, en Angleterre et aux États-Unis. Il semble même ne s’être rendu à Londres, en août 1875, qu’à cet effet. Il en avait confié quelques exemplaires à Bonaparte Wyse qui regagnait l'Irlande en juin 1875 et qui en fit remettre aux poètes Swinburne, John Payne et Arthur O’Shaughnessy et probablement un au savant éditeur de Poe, John II. Ingram, qui l’en remerciait de Londres, le Ier août. Arthur O’Shaughnessy l’informe, le Ier septembre, qu’il a rédigé sur le Corbeau, une petite note pour « l’Atheneum ». John Payne, le 8 septembre, lui dit en avoir remis un exemplaire à Rossetti. Swinburne l’en avait remercié, dès le 7 juillet, dans une lettre en français où il rappelait à Mallarmé que, douze ans auparavant, en 1863, il avait été emmené chez Manet par Whistler et Fantin-Latour et où il disait : « Je viens de parcourir avec le plus vif intérêt ccs pages merveilleuses où