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sobre. Ainsi le pays fut quitte de la pauvreté, de l’ivrognerie et des grèves; et une prospérité délicieuse, avec la paix, régna sur ces contrées. Aucun de ceux qui étaient méritants ne se trouvait manquer de quoi que ce fût, et nul en état de travailler n’avait le droit de paresser et vivre de charité. Celle-ci, la charité, se distribuait, d’une main à la fois libérale et adroite à discerner et n’atteignait que les méritants. La noblesse était la récompense du bien et des services rendus au pays et au prochain. Elle était attribuée à la personne même qui s’en rendait digne, et n’était pas héréditaire. — Mais comme vous êtes sur le point de visiter Terre-Juste, princesse Blanche, vous verrez ce lieu de bonheur et en jugerez par vous-même. » Quand la Fée Justice eut achevé son histoire, la Princesse la remercia chaudement disant qu’il lui tardait fort de faire la connaissance d’Henri et de Rubis. La Reine Bonté promit de la mener à Terre-Juste et de la présenter à ce couple parfait, ce qu’elle fit, accompagnée de la Fée Justice. Qu’ils paraissaient jeunes et heureux, le Ministre et sa chère compagne, et quels gentils enfants ils avaient! Trois, des noms de Beaujeu, Henriot et Rubis. Le Roi insista pour être leur parrain; il était dans cet intérieur aussi souvent que chez lui. Henri avait été fait duc et appelé le duc Noble. Il pria la Fée et la Princesse de rester ses hôtes aussi longtemps qu’il leur plairait. Blanche, durant ce séjour, vit le Roi souvent et sous maint aspect; tous deux s’attachèrent de plus en plus l’un à l’autre, et ce fut arrangé que le Roi irait à Terre-Libre rendre visite aux père et mère de la Princesse, aussitôt après le retour de leur fille. Le vieux Dorigénès la rappela, voulant revoir sa petite favorite, toujours la joie et le lustre de sa maison; elle dit alors adieu à de chers amis et aux bonnes fées, puis se retrouva encore dans sa famille. Elle peignit à son frère René tout ce qu’elle avait vu, parla des lois exquises de Terre-Juste, si différentes des lois incertaines de leur pays à eux, trop sévères parfois, ou trop douces. Très impressionné, le jeune Prince déclara que, quand il serait roi, il prendrait exemple sur son cousin Beaujeu. Il ne renverrait pas la Fée Liberté, mais obtiendrait son consentement d’agir toujours amicalement vis-à-vis de Justice. Il s’efforcerait de faire disparaître ce qu’il considérait comme une tache pour la nation, à savoir la réputation qu’elle s’était faite de donner abri à tout rebut de l’étranger, sans discerner entre des exilés honorables et certains malfaiteurs dénués de tous scrupules. Au lieu d’accueillir toute espèce de gens, sur ses rivages, il aviserait bon nombre d’entre eux de chercher une île déserte, où fonder seuls une colonie, laissant ainsi exempts de troubles des pays qui, autrement, se gouvernaient bien.