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puis tournez à gauche, et c’est la première porte à droite. » « Sans perdre plus de temps, Rubis brûla le chemin, fut à la cabine, juste comme le capitaine sirotait son thé brûlant. Rubis oublia que, comme il n’était point préparé à l’entendre, sa voix même douce lui causerait un saisissement : aussi commença-t-elle à lui chuchoter aux oreilles, mais cela le chatouilla au point de le faire presque étouffer, et il renversa tout son thé chaud. Ce fait, outre qu'il irrita très fort notre homme, retarda toute explication, et Rubis comprit que, jusqu’à ce qu’il se fût remis tout à fait, il ne prêterait pas l’ouïe à son récit : elle résolut d’être plus prudente à l’avenir. Quand le capitaine se fut en quelque sorte retrouvé, Rubis se risqua de nouveau à l’approcher. — « La peste soit du vent! j’aurais bonne envie qu’il ne me chatouille pas furieusement ainsi », exclama-t-il, se frottant l’oreille. — «Je vous en prie, pardonnez-moi, bon Monsieur », répliqua Rubis aussi doucement qu’elle put; « mais, vous le savez, le vent quelquefois prend ses libertés, et quelque chose me fait souffler plus fort que je ne voudrais, car j’ai le plus vif désir d’avoir votre oreille. » — « Qui, de par toute la puissance des Fées, me parle là ? » demanda le capitaine, lequel était un croyant aux esprits, et, possesseur d’une bonne conscience, ne s’alarmait point. — «Je suis la femme du meilleur homme du monde. Henri le Noble, de qui vous avez sans doute entendu parler », répondit Rubis; « et, grâce au secours d’une bonne Fée, j’ai été investie d’un pouvoir magique, afin d’arracher de mon mieux ce grand Ministre aux mains de ses ennemis : ils l’ont enlevé de force, et le gardent maintenant prisonnier, dans une lugubre caverne cachée sous un roc abrupt, au bord de la nier, à quelques milles d’ici. Ils sont pris, à cette heure, d’un sommeil enchanté qui ne durera pas au delà de douze heures; donc, je vous supplie (bon capitaine, écoutez ma prière) de venir délivrer mon noble époux et lier, pendant leur sommeil, de câbles solides les méchants Géants, pour vous assurer d’eux. » « Oh ! oh ! ainsi mes amis les Géants ont encore fait des leurs, n’est-ce pas ? J’imagine que, cette fois, cela leur coûtera cher, car, quand les Fées s’en mêlent, les mortels sont impuissants », s’écria le capitaine, continuant à se tourner dans la direction de la voix de Rubis. « Donnez vos ordres relativement au point où mettre le cap, belle invisible, et nous ferons voile immédiatement pour la caverne ». — « Cher, bon capitaine », s’écria joyeusement la voix; «je puis vous promettre, au nom des Fées, que vous serez amplement récompensé de braver ainsi les éléments, et d’abandonner votre route pour venir au secours d’un semblable. »