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Guillot avec un mauvais sourire. — « Tu peux être tranquille là-dessus », répondit l’autre sévèrement; « je ne suis pas homme à oublier le nécessaire. » Guillot, comprenant que son ami n’était pas de la meilleure humeur, s'abstint de toute autre question et s’occupa d’obéir à ses ordres. Il revint bientôt avec une voiture, où les Géants chargèrent les bagages, comme si l’on était sur un grand départ, montant eux-memes à l’intérieur avec leur prisonnier, à qui ils avaient pris la précaution de faire changer d'habits, en lui mettant sur les épaules, au lieu des siens, un pardessus grossier. Ils fouettèrent leurs chevaux et s’en furent au loin, atteignant enfin un port, où ils s’arrêtèrent, rejoints par d’autres de leur engeance. Ces derniers aidèrent à décharger la voiture et descendirent le bagage au bateau attendant au ras du quai, pendant que le reste s’occupait d’Henri, qu’on porta à bord. Le bateau sortit du port à toute vapeur, et suivit la rivière boueuse qui, aux yeux de Rubis enchaînée par le sommeil, semblait plus noire et plus épaisse que jamais. Enfin, après ce qui parut des heures au rêve de la jeune épouse, la troupe arriva devant une ouverture de roc à l’aspect de caverne, où entra le steamer; débarqués, Henri et les Géants s’avancèrent. Le souterrain était fort grand et d’aspect sombre, quoique brillassent plusieurs lumières sur la longue table, où siégeaient d’autres Géants, encore dans l’attente des arrivants. « On servit avec promptitude un repas confortable, que parurent apprécier les voyageurs; ils s’assirent tout d’abord et se servirent, tandis que les habitants du lieu s’occupaient d’Henri, essayant de lui faire reprendre ses sens. « Un vaste feu de bois brûlait, mais mouillé et triste. Que pouvaient-ils bien vouloir faire d’Henri ? Le voici qui revient à lui (Rubis l’entend soupirer) ; mais il fallut du temps pour qu'il rouvrît les yeux. Il croyait que tout cela était un rêve, sa tête 11’étant point encore quitte des effets de l'emplâtre drogué. On lui fit boire du café chaud, qui le ranima; et il s’éveilla graduellement au sentiment de la vérité, essayant de rassembler ses pensées. — « Pourquoi m’avez-vous amené ici ? » cria-t-il, se dressant, haut et sévère, et fixant les yeux sur le Double-Face, avec un regard tel que ce gros Géant trembla dans ses bottes, car une mauvaise conscience rend lâches les hommes les plus forts. — « Je vous ai amené ici, parce que vous êtes en train d’essayer de nous nuire par vos réformes; et vous 11e supposiez pas que nous allons le permettre, ainsi que des agneaux. » Le Ministre vit que sa situation était grave et pensa à sa chère petite femme : mais c’était un homme essentiellement brave, ne craignant rien dans le chemin du devoir qu’il suivait sans hésitation. Donc, calntc et sans se