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à son tour, les lui faisait quelquefois manger. Ils firent un repas cordial, arrosé d’une bonne goutte du lait pur de la brave femme : l’enfant en avait eu d’abord largement sa part. Restaurés et fortifiés, leur courage se releva, et ils se trouvèrent prêts à reprendre leur marche. Un sourire bon avait détendu le visage blême de Marie-Jeanne; cela lui avait amolli le cœur de voir qu’elle avait réellement fait une bonne action et que ces restes, à tout prendre, n’étaient point gaspillés, car c’était une femme laborieuse et consciencieuse qui, simplement, ne pensait rien de bon des mendiants: d’honnêtes gens (opinait-elle) ne pouvant jamais en venir à la mendicité. « Mais la laitière avait certainement raison, ceux-ci étaient des pauvres méritants : il n’y avait chez eux ni lunes ni cafarderie, pas de grognements comme chez les mendiants de profession; mais ils mangeaient joyeusement et en étaient reconnaissants. » Sa bonne nature la domina à ce point que, comme ils se levaient pour partir, remarquant le châle mince de la femme et que brpinait du grésil, elle se souvint qu’elle en possédait un bien plus chaud, trop vieux et trop fané pour le porter, elle; et qu’il y avait lieu de s’en défaire en faveur de Catherine qui avait l’air si doux. « /Attendez un brin, voulez-vous ? » cria-t-elle, et elle franchit une fois de plus la porte en quête du châle, tandis que la laitière, ravie, expliquait : « Elle est allée vous chercher quelque chose encore, sûr. C’est une chance que vous soyez venus à cette porte et que je ne fusse point passée, car c’est une des meilleures bonnes de tout par ici, mais ce n’est pas un chacun qui peut la faire aller. Ah! ne vous l’ai-je pas dit ? c’est quelque chose comme un châle », et, le prenant des mains de Marie-Jeanne : « Vous feriez mieux de rouler le vôtre autour du bébé! » s’adressant maintenant à Catherine qui, tremblante d’émotion heureuse, se mettait à faire ce qu’on lui conseillait : alors la laitière épingla le cadeau de la cuisinière sur la poitrine de la pauvre jeune femme d’une façon vraiment maternelle, lui donnant plus chaud qu’elle n’avait eu de maint long jour. « Répandant du fond du cœur les remercîments et les bénédictions sur les deux honnêtes femmes, nos chers Thomas et Catherine, prirent congé d’elles : la laitière, qui allait par le même chemin, leur souhaitant du bonheur encore, et affirmant à son amie Marie-Jeanne, au moment de la quitter, que si elle se laissait plus souvent aller à ses bons sentiments, bien sûr qu’elle 11’aurait pas à soupirer davantage pour que l’affection de Jacques Beau, son prétendant, vînt à point : car c’était étonnant combien cela lui donnait plus belle mine ! « Avec des sourires mouillés de part et d’autre, tous se firent de la tête un dernier adieu, et nous accompagnâmes