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longtemps qu’ils l’ont pour protectrice, ils ne soupirent point après Liberté, car ils savent que, clans une contrée juste, le peuple est libre de faire tout ce qui se doit. Eh bien, ces Géants rebelles se sont enfuis vers vos rivages amis; ils y ont pris conseil des réfugies de toutes nations qui se rassemblent à Grandum, et, apprenant que je menais une chasse à courre sur la frontière de mon royaume, se sont mis en embuscade; moi, cependant, je chevauchais, dans l’ardeur de mon jeu, avec une grande avance sur ma suite, les montures de mes gens n’ayant pas le sang de la mienne, qui est un don des Fées. — Le splendide cheval ! » s’exclama le jeune Roi avec enthousiasme; « son nom est Magique; et son pas, digne de ce nom! » Puis il continua : «J’avais (je l’ai dit) une belle avance sur mon escorte, quand je me vis subitement entouré d’un grand nombre de Géants, qui me coururent sus d’un fourré voisin. Fort de l’ardeur de mon coursier, je me fis jour au travers, avec mon fouet de chasse; puis m’élançai à bride abattue jusqu’à ce que j’eusse atteint ce bois, où, les arbres entravant ma course, je mis pied à terre, et ordonnai à mon cheval de rejoindre mes gens, et de les guider à mon secours. Je le mis en liberté. Voici qu’avancé à peine de plusieurs mètres, un coup de feu nie frappa, tiré par un Géant caché dans les arbres, et je tombai où vous m’avez trouvé. J’y serais mort, si vous ne m’étiez point venue si généreusement en aide. Votre mouchoir enchanté m’a sauvé la vie, et, à tout jamais, je tiendrai ce jour pour le plus heureux de mon existence, qui nous a donné l’occasion de faire connaissance l’un de l’autre. Pas de doute que les Fées n’aient arrangé l’aventure d’aujourd’hui dans un but qui, je l’espère, peut être d’unir nos deux pays. Je chérirais fort une si exquise petite femme : il se pourrait de la sorte faire que Justice et Liberté devinssent alliées. » Blanche avait écouté avec un vif intérêt l’histoire du jeune Roi, et ses sourires et sa rougeur, comme il la finissait, étaient un indice que ces paroles lui plaisaient beaucoup. Après une pause d’un instant toutefois, se dressant tout alarmée, et regardant à l’entour : « Mais, peut-être, y a-t-il maintenant des Géants tout contre nous, prêts à nous tuer! » s’écria-t-cllc. — « Ce n’est pas vraisemblable », répondit le Roi, se levant aussi. « C’était très hardi à celui qui a tiré sur'moi de s’aventurer sur les domaines de votre père; aussitôt qu’il me vit tomber, il a dû être satisfait et s’enfuir. J’espère que mes gens seront bientôt ici. » — « Mais vous m’accompagncrcz au palais, n’est-ce pas ? » lit Blanche. — « Avec le plus grand plaisir », répliqua le Roi, « quoiqu’il ne me faille point attarder beaucoup. Les nouvelles de cette affaire s’ébruiteront vite au dehors, et je ne voudrais pas laisser croire un seul instant au peuple