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la couleur revenait aux joues par degré; puis le visage de l’étranger perdit cet air contracté par la douleur, et la respiration se fit plus régulière. Le mouchoir enchanté accomplissait son œuvre, pendant que Blanche le pressait sur la blessure; et elle eut bientôt la satisfaction de voir son malade ouvrir les yeux et les fixer sur elle, dans une douce surprise. En réponse à cette muette investigation, elle raconta qui elle était; et, maintenant qu'elle avait pu le secourir, elle exprima à son tour la curiosité d’apprendre de lui la même chose. « Je suis le Roi de Terre-Juste », dit-il, « et je vous expliquerai la cause de l’état où je me trouve, si cela ne vous ennuie pas. » Blanche l’assura que cela aurait pour elle un grand intérêt, mais pria qu’il lui permît d’abord de le soulever, pour l’adosser à un arbre; et aussi qu’il la laissât chercher un peu d’eau à la Fontaine-qui-guérit, située à quelques milles de là. Le Roi la remercia chaudement, acceptant son offre bienveillante; et, après s’être fortifié avec une gorgée de l'eau salutaire, il commença, assis à son aise : « Second fils, j’héritai de la couronne à la mort de mon fière, le feu Roi, quand j’eus vingt ans. A ma naissance, me fut inoculé spécialement l’amour de la Fée Justice : c’est la Fée qui préside à mon pays, comme Liberté au vôtre. Je suis toujours resté son champion... Mon frère, qui régna ie premier, était très faible et de corps et de volonté, car, peu de temps avant sa venue au monde, un refroidissement s’était produit entre mes parents et notre Fée, parce qu’on l’avait négligée pour la Fée Liberté, dont l’attrait, bien plus éclatant, jeta Justice dans l’ombre. Elle ne se trouva donc point la marraine de leur fils aîné et, durant de longues années, fut pour nous une visiteuse très rare; mais, voyant que le pays souffrait, faute de sa présence constante, elle oublia, dans sa passion pour le bien commun, un manque d’égards personnel et me choisit pour instrument, voulant réformer les lois. Sous les règnes de mon père et de mon frère, le culte de la Fée Justice avait diminué, tandis que s’était accru celui de la Fée maîtresse chez nos voisins. « Très glorieuse et grande dame qu’elle est, votre patronne se montre un peu par trop indépendante. Justice (je le sais) a souhaité souvent de s’unir avec elle pour former un gouvernement parfait, mais Liberté se refuse à cette association. Liberté compte beaucoup d’adorateurs, particulièrement chez les Géants, troupe turbulente et forte d’hommes tout aises de créer des troubles pour en profiter : furieux de mon succès à réformer les lois après mon avènement au trône, ils conspirèrent pour me dresser un guet-apens et me tuer. Oh! combien différents les tributaires de Justice!... Aussi