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pour vous instruire de ce que vous avez à faire. Votre habit vous permettra de vivre sous l’eau, il est doué d’une vertu magique. Usez de promptitude et faites route, tout de suite, au royaume souterrain du Génie Tempête, qu’il vous faut vaincre avant de pouvoir rentrer en possession du mouchoir. » Sans perdre de temps, le jeune Prince fit ses adieux à sa famille, et, partant avec la ferme résolution de triompher ou de périr, plongea dans les profondeurs du fleuve. Gomme il nageait, s’éloignant vers la mer, il vit nombre de poissons joliment marbrés et des créatures extraordinaires qu’il n’avait jamais considérées encore ; mais ne voulut s’arrêter pour les examiner, se rappelant que sa sœur avait à souffrir jusqu’à son retour. Avide du but, le voilà bientôt à l’embouchure du fleuve, où il entendit un cri de douleur. Son étonnement fut grand d’ouïr pareil bruit émaner du fond de la mer : il nagea précipitamment dans la direction, et vit un beau petit dragon d’or dans la gueule d’un énorme lion de mer, dont les crocs aigus lui entraient déjà dans la chair. Le Prince, frappant de toute sa force le méchant poisson et le faisant ainsi lâcher prise, recueillit dans sa main le dragonneau meurtri; et, en le touchant doucement, essaya de fermer les blessures qu’avaient faites les dents du lion de mer, parlant au pauvret d’une voix caressante : mais celui-ci, à sa grande surprise, se fit de plus en plus petit, jusqu’à ce qu’enfin il se réduisît à rien et s’évanouît. Tandis qu’il restait à contempler sa main vide, René entendit une voix qui s’adressait à lui timidement, et, levant les yeux, vit devant lui une belle Nymphe, laquelle parla de la sorte : « O très bon et très noble Prince, comment vous remercier suffisamment de votre bonté, qui m’a rendue à ma forme originelle ? Un hideux Génie me changea en dragonneau, parce que je refusai de l’épouser; il fit de moi, dans sa vengeance, ce pauvre petit poisson persécuté, disant que je serais poursuivie par des monstres voraces, jusqu’à ce qu’un mortel plonge au fond de la mer et se détourne de sa route pour me sauver, événement par lui jugé si invraisemblable qu’il me croyait à jamais vouée à ce sort affreux. Ma gratitude est trop grande pour que je l’exprime par des paroles; mais je puis vous être de quelque usage; et ai-je besoin de vous dire que tous mes services sont à vos ordres ? » Le Prince avait jusque-là regardé la dame des eaux avec surprise et admiration; mais ce discours lui remit à l’esprit l’importance qu’il y avait à mener promptement son entreprise, dont il lui expliqua l’objet en peu de mots. Elle répondit : « Je ne vous retiendrai pas plus longtemps. Suivez-moi, je vous guiderai et vous aiderai. »